(PASCAL REGIS HOME)


(article paru dans Crossroads n°27, décembre 2004)

22/12/2004 Vite ça presse .Crossroads n° 27 Dans le dernier numéro de Crossroads un excellent et long papier sur Kevin Coyne, qui passe en revue l'intégralité de sa discographie.Intègre et honnête Pascal Regis ne tombe pas dans l' hagiographie laudative mais dresse un portrait attachant "with warts and all", d'une grande justesse, sensible sans être mièvre. Indispensable ..
PLAISANTLOUIAN
http://talkingtonoone.hautetfort.com/livre/

(une autre revue de l'article ici)

 

Kevin Coyne : mieux vaut être fou que triste...

(Photo Berny Meyer)

60 ans et 40 albums... Kevin Coyne serait-il pour autant totalement oublié ? Assez pour ne plus être référencé dans les bacs de la Fnac. Pas assez pour ne pas remplir le Nouveau Casino lors de son retour en France en février dernier après dix ans d’absence. Dans les années 70, il a pourtant eu droit à des comparaisons prestigieuses : Dylan, Beefheart, Van Morrison ou Joe Cocker, rien que ça ; il était l’un des premiers artistes signés chez Virigin Records ; en 1974, il remplissait Hyde Park à Londres, le NME lui offrait sa couv, Nick Kent le couvrait d’éloges... Mais c’est que Coyne a peut-être toujours tout fait pour que sa carrière ne se passe pas comme l’auraient rêvé les commerciaux des maisons de disques: trop exigeant, pas assez décervelé, pas assez Sid Vicious : Kevin Coyne, ça n’est pas seulement une voix mais aussi des textes. Voilà un chanteur qui a des choses à dire… ! Intransigeance, honnêteté, sensibilité, intelligence, le rock critique se sent obligé d’utiliser ces mots qu’on n’est pas censé employer dans l’univers béta du sexe and drugs and rock’n’roll…

La comparaison avec Captain Beefheart est intérressante sur bien des points : chez tous les deux, une sensibilité artistique incurable et un amour du blues qui les habite et forge leur voix ; mais si le Captain paraît bien installé dans la douce démence, on comprend vite que Coyne est, lui, en lutte contre la folie. Ainsi, le show Rockpalast où bien des Français le découvrirent en 1979, montrait un tel personnage, une telle bête de scène survoltée et un peu inquiétante qu’on le classait immédiatement dans la case des agités du bocal. Mais Coyne simulait, offrait un spectacle. Mieux vaut être fou que triste... Coyne, l’ancien infirmier psychiatrique savait si bien incarner la folie qu’un jour elle finirait presque par le rattrapper. Aujourd’hui, guéri, désintoxiqué, mais vieilli et malade, Coyne continue son œuvre malgré l’indifférence, encadré du respect profond d’une poignée de fans. Ses concerts sont encore aujourd’hui des expériences uniques qui laissent invariablement les spectateurs à genoux.

 

 

Siren (1969) **
Strange Locomotion (1971) ***
Rabbits (1970) **
Let's Do It (1970) **
The Club Rondo (1970) ****

Kevin Coyne et Nick Cudworth (kbds, gtrs), Dave Clague (bs, gtrs), John Chichester (gtrs), Mick Gratton (gtrs), Mick Sweeney (gtrs), Tat Meager (dms) et Colin Wood (flute, kbds)

De 1969 à 71, Kevin Coyne est le chanteur de Siren, un des derniers groupes du british blues boom. D’abord courtisé par Blue Horyzon, le label de blues anglais qui révéla Fleetwood Mac, c’est finalement Dandelion Records et John Peel qui signeront Siren et Elektra pour les Etats Unis. Jac Holzman, le président d’Elektra, est même un tel fan qu’il propose à Coyne de remplacer Jim Morrison au sein des Doors le lendemain de sa mort. Sans hésiter, Coyne refuse : « Je ne me voyais pas en pantalon de cuir...». Siren et Strange Locomotion sont deux bons, très bons albums de blues et de boogie à l’anglaise, mêlés aussi de belles balades dont certaines ("Asylum") annoncent déjà les chansons tourmentées des albums solo à venir. Nick Cudworth est un pianiste magnifique qui emporte le groupe dans d’irrésistibles boogies. Kevin Coyne travaille son souffle et ses textes ; il cherche sa voix. Ca promet. En 1994, Dave Clague, bassiste et producteur de Siren, sortira trois disques de chutes de studio. Rabbits et Let’s do it explorent la même veine bluesy mais The Club Rondo est un petit chef d’œuvre méconnu : album entièrement improvisé en une séance de studio, Cudworth et Clague se contentant d’un bourdon monotone, Coyne se déchaîne : textes, saynettes, chansonettes, marches bavaroises ou dialogues avec de désopilants accents provinciaux anglais, puis, soudain, annonçant déjà Case History, Our Jack, ou l’histoire terrible d’un jeune malade mental, racontée par sa mère. Ahurissant et éblouissant, mais réservé aux anglophones.

 

Case History (1972)

Kevin Coyne et Mick Sweeny (gtrs), Nick Cudworth (gtrs), kbds, Dave Clague (gtrs). Produit par Kevin Coyne

"Ce n'est pas seulement un album; c'est toute une période de ma vie". Enregistré en une après-midi et en une seule prise dans un petit studio de Twickenham, Case History est un de ces albums incroyables, d'une telle puissance et intensité que l'écoute en est presque difficile. John Peel, célèbre DJ anglais et créateur de Dandelion records, sortira l'album tel quel, sans fioritures ni over-dubs (ce qui fera dire à Kevin Coyne lors de sa rencontre en 2004 avec Jeffrey "Anti-Folk" Lewis: "C'était un album low-fi avant l'heure"). Nourri de son expérience de travailleur social et d'infirmier en asile psychiatrique, Coyne explore et décrit l’existence des désaxés, des laissés pour compte. En solo sur la plupart des titres et accompagné des membres de Siren sur quelques autres, Kevin à ses débuts donne de la voix comme s'il avait déjà 20 ans d'expérience : des belles mélodies de « White Horse » aux onomatopées sur-aiguës de « Araby » aux hurlements de « Mad Boy », la palette vocale est déjà d’une richesse et d’une étendue impressionnantes. Si le sautillant « God bless the Bride » est encore un morceau de Siren, « White Horse » nous emporte dans un univers onirique a priori calme et serein mais pourtant déjà gênant. Le rêve ou le délire autour du cheval blanc laissent un malaise. Mais, avec « Uggy’s Song », où les jolis arpèges de Cudworth sont remplacés par la frappe sauvage de Coyne sur son acoustique, on est saisi à la gorge. « Uggy’s Song » raconte la vie d’un clochard noir battu par la police anglaise qui l’appelait Uggy « because they thought he was ugly ». Les deux pôles maîtres de l’univers Coynien sont là : une tendresse irréssitible pour ses amis les outsiders et une révolte contre l’indifférence du reste du monde envers eux. Coyne est alors encore l’infirmier qui témoigne : dans quelques années, rattrappé lui-même par ses démons, il frôlera lui aussi la démence. Les 5,30 minutes de « Sand all Yellow » racontent, sur un background hypnotique, toute une histoire psychiatrique où Coyne change de voix pour évoquer le patient, le docteur... Effrayant. Cet album marque l’apparition du trade-mark de guitare minimale façon Coyne : accordée en open, sa guitare acoustique est couchée sur ses genoux, la main gauche barre le manche avec le pouce et la main droite frappe une rythmique forcenée (« Evil Island Home » en est un des plus étonnants exemples). Cette guitare primitive, cette voix surpuissante, tout est là pour imposer Coyne comme un artiste majeur, celui qui, plus tard, sera présenté comme « le seul musicien anglais qui ait vraiment le blues ». Blues, oui, mais un blues de prolo de province anglais, un blues de pub crasseux, avec mère autoritaire, enfants battus, père alcoolo et autres horreurs. Un blues d’une époque et d’un endroit. Malheureusement, la fin de Dandelion Records ôtera toute chance de succès au disque. Avec Case History, on est pourtant dans la cour des grands : l’album a sa place à côté du Madcap Laughs de Syd Barret ou du Pink Moon de Nick Drake, un de ces albums hors du temps qu'on écoute trente ans après, en frissonnant.

*****

 

Marjory Razorblade (1973)

Kevin Coyne et Gordon Smith (gtrs, mandoline), Jean Roussel (kbds), Tony Cousins (bs), Chili Charles (dms, congas), Steve Verroca (kbds), Dave Clague (gtrs). Produit par Steve Verroca

Échaudé par le fiasco des gentils babas cool de Dandelion, Coyne signe avec Virgin Records, nouveau label aux allures – à l’époque - d’indie. Kevin est le deuxième artiste signé : le premier est Mike Oldfield et son Tubular Bells ; on proposera même à Kevin d’y ajouter des voix, ce que, sagement, il refusera. Appuyé par la force de frappe de Virgin, Coyne va enfin montrer au monde ce dont il est capable. L’album est enregistré en quelques jours au Manor Studios ; tout d'abord des demos avec Dave Clague de Siren puis avec des musiciens de studios assemblés pour l’occasion. Certains formeront le premier Kevin Coyne Band. Après Kevin, le héros de l’album, c’est Gordon Smith, magnifique guitariste de slide acoustique (il avait sorti un album, Long Overdue, chez Blue Horizon). Il est pour beaucoup dans le son et  l’unité de l’album : les arpèges de Everybody Says, la slide de House on the Hill ; Smith est l’accompagnateur idéal : présent mais humble, brillant et subtil.

Trente ans après, Marjory Razorblade reste l’album phare de Coyne, qui impose certains de ses titres les plus célèbres : les poignants Talking to no-one, Eastbourne Ladies ou House on the Hill mais, aussi, les farces que sont Karate King, Good Boy ou This is Spain, satire du britannique égaré en vacances dans une Espagne primitive et hostile. Privé de studio, frustré par l’échec de Siren, sûr de son talent, Kevin se jette à corps perdu dans ce disque, un double album d’une richesse rare. Il est à l’époque persuadé qu’il va devenir célèbre (il déclare volontiers« Je crois que je chante mieux que n’importe qui » ou « Je suis prêt à affronter le monde entier »). Il est aussi d’une grande exigence et veut ne faire aucune concession : ainsi, le premier morceau du disque où il rugit a-capella la complainte malsaine de Marjory a sûrement fait fuir plus d’un auditeur et aidé à bâtir sa réputation de malade mental alcoolique. On imagine les pontes de Virgin s’arracher les cheveux à tenter de le convaincre de commencer par le tubesque Marlene. Mais Coyne l’intrasigeant fera toujours tout pour conserver l’intégrité de son œuvre, au risque – accepté –  de foutre en l’air sa carrière.

*****

 

Blame It On The Night (1974)

Kevin Coyne et Gordon Smith (gtrs), Tony Cousins (bs), Chilli Charles (dms), Ruan O'Loghlainn (sax), Fi Trench (kbds). Produit par Steve Verroca

L’album introuvable. Pour des raisons de marketing mystérieuses, cet album essentiel a été tiré à peu d’exemplaires, est pratiquement introuvable (ou à des prix obscènes) et lors de la réédition en cd en 1990 du catalogue Coyne chez Virgin, fut le seul à ne pas ressortir ! On trouve encore de nos jours sur le Net des fans qui galèrent pour entendre le chef-d’œuvre méconnu. Chef-d’œuvre en effet : moins surprenant peut-être que Marjory, Blame It explore pourtant la même veine : d’un côté le folk-blues-boogie de I Believe in Love ou Poor Swine (et ses étonnants lyrics où Coyne éprouve de la pitié pour le propriétaire d’une mine de charbon face à ses employés) ; de l’autre, Witch ou Don’t Delude Me, plongées dans une folie inquiétante : Coyne présente-t-il un cas clinique ou est-il lui même malade ? Le disque est à nouveau parfaitement servi par Gordon Smith et sa bande, solide combo de blues-rock obéissant au doigt et à l’oeil au maestro Coyne. L’album commence par l’éclat de rire de River of Sin : certains entendent dans le rire de Coyne une préfiguration de celui du Rotten d’Anarchy in the UK – Johnny Rotten avouera d’ailleurs être un fan de Kevin Coyne, comme quoi : Rebels of the World, Unite…

***

 

Matching Head And Feet (1975)

Kevin Coyne et Archie Leggett (bs), Tim Penn (kbds), Andy Summers (gtrs), Gordon Smith (gtrs, harmonica) et Peter Woolf (dms). Produit par Geoffrey Haslam

"Le groupe devenait trop orthodoxe; je manquais de puissance". L’acoustique des deux premiers albums ne suffit plus. Coyne veut de grandes salles et un gros son. La spirale qui amènera au double album live (mastodonte inévitable des années 70) est en marche, probablement attisée par Virgin qui voudrait des tubes et du succès. Le fidèle Tony Cousins à la basse est remplacé par Archie Legett (Kevin Ayers), Gordon Smith reste mais sa guitare est couverte par celle d’Andy Summers, guitar-hero de studio tout droit sorti des New Animals d’Eric Burdon et qui dans deux ans cassera la baraque avec Police (Kevin se souvient encore de l’avoir croisé en studio quand il enregistrait Outlandos d'Amour et d’avoir rigolé de sa coupe de douille oxygénée : « Tout le monde se disait que c’était la dernière chance d’Andy... » (A propos de Police, Sting lui aussi s’est déclaré fan de Kevin Coyne). La lutte d’ego entre les deux guitaristes tournera à l’avantage de Summers qui restera seul à briller sur les deux prochains albums. Matching Head And Feet est un disque imparfait rempli de perles. Si Saviour ou le magnifique Sunday Morning Sunrise restent encore aujourd’hui deux morceaux de bravoure sur scène, des titres comme Rock’n’Roll Hymn ou Tulip et une production marquée années 70 en font un album qui a pris un coup de vieux. Pourtant, à l’époque, les critiques le trouvaient plus « accessible », plus « commercial », que Marjory ou Blame It, jugés, eux, trop « introspectifs »... Le producteur, Geoffrey Haslam avait produit Le Velvet Underground (Loaded), le MC5 et le J Geils Band mais se contente sans génie d’ajouter quelques violons ou cuivres par-ci par-là.

***

 

Heartburn (1976)

Kevin Coyne et Zoot Money (kbds), Andy Summers (gtrs), Steve Thompson (bs) et Peter Wolf (dms). Produit par Norman Smith

L’album ressemble à Matching Heand And Feet mais pose plus de problèmes encore. Le son froid et la production propre nous dépossèdent du côté sauvage de Coyne. Strange Locomotion et sa sympathique imagerie psychédélique anglaise est superbe mais c’était un morceau de Siren. America est étrangement lyrique et comique à la fois et I love my Mother nage dans d’épaisses nappes de violon. La plupart des titres seront repris dans l’album live et y gagneront. Un album de transition qui a de beaux atouts pour réussir mais n’y parvient pourtant pas. A noter, l’effrayante pochette, signée Hipgnosis.

**

 

In Living Black and White (live-1976)

Kevin Coyne et Zoot Money (kbds), Andy Summers (gtrs), Steve Thompson (bs) et Peter Woolf (dms). Produit par R. J. Lange et Steve Lewis

L’un des disques de Coyne les plus connus, avec sa fameuse pochette (au verso, on découvre que le souriant Coyne tient, caché derrière son dos, un rasoir...), il amènera à l’artiste une nouvelle génération de public. Les concerts se présentaient comme "An Evening With Kevin Coyne, His Music, His Words, His Band". Le groupe est une perfection d’unité, de son et de puissance. Summers y est gigantesque, que ce soit dans les solos somptueux, les rythmiques forcenées (Eastbourne Ladies) ou même dans la pureté acoustique de Big White Bird. Virgin devait se frotter les mains devant trois belles faces de rock. Oui, trois, car la première face obéit à un axiome coynien inévitable : quand tout devient trop évident ou trop facile, faire le contraire de ce qu’on attend. Ce double live commence donc par Case History #2, morceau inouï – peut-être l’un des plus étonnants de sa carrière – où Coyne, accompagné du sublime Zoot Money au piano électrique, récite des textes étranges, rêves, délires, poésie, puis chantonne des airs grotesques et dérangeants. Vient ensuite le fameux Fat Girl et ses hurlements où Coyne pousse son jeu de guitare sauvage à un paroxysme rythmique. Quand arrive enfin le groupe pour un Eastbourne Ladies infernal, on a compris qu’on a affaire à un artiste inclassable, à une personnalité énorme. Inclassable et invendable... Est-ce une raison économique qui provoque bientôt la dissolution du groupe ou Coyne veut-il à nouveau prendre des risques (« Le groupe était peut-être un peu trop parfait »), quoi qu’il en soit, Virgin qui voulait capitaliser sur ce double live, se retrouve pour les prochaines tournées avec Coyne et Money seuls en scène dans une ambiance de music-hall à petit budget. C’est de cette époque que datent de mémorables apparitions à la télé française qui convertirent bien des amateurs : un Chorus où l’on voit les cordes de l’acoustique casser les unes après les autres et, plus tard, un inoubliable Rockpalast où Kevin pousse le théâtre à un point où il devient difficile de ne pas penser qu’il est réellement fou. La légende se crée.

***

 

Beautiful Extremes 1974-1977 / Beautiful Extremes Etcetera (compilation-1974/1978)

Kevin Coyne solo et et Bob Ward (gtrs)

Encore un album célèbre et l’un des préférés des fans, pourtant jamais réédité en cd. Chacun y trouve son morceau préféré : un album culte. Pour les completistes, sachez que Beautiful Extremes 1974-1977 sortit en 1977 et que Beautiful Extremes Etcetera sortit avec une autre pochette et deux titres différents en 1983. Un jour, peut-être, Virgin se réveillera et ressortira enfin ces trésors. Coyne en acoustique, c’est un plaisir rarement offert. Beautiful Extremes en est un des exemples les plus réussis. Enregistré en marge des albums officiels, les titres de cet album sont des perles de grâce (So Strange, Poor Little Actress) ou de grotesque (Mona où Kevin hurle sans interruption « Mona où est mon pantalon » dans le canal gauche et raconte un souvenir d’enfance douloureux dans l’autre. On est en plein art-rock, on est aussi dans l’univers des nouvelles que Kevin commencera à publier dans les années 90. S’il n’y avait qu’un album  a écouter pour évaluer le talent du bonhomme, c’est peut-être celui-là qu’il faudrait chercher.

*****

 

Dynamite Daze (1978)

Kevin Coyne et Zoot Money (kbds), Bob Ward (gtrs), Al James (bs), Vic Sweeney (dms), Paul Wickens (accordion, dms, mini-moog, congas) et Tim Rice (kbds).

Produit par Kevin Coyne et Bob Ward

Dynamite Daze est un album formidable. Coyne coupe les ponts et change radicalement de direction. Le succès qui se profilait avec In Living Black & White lui échappe avec cet album qui refuse toute facilité et vole dans les plumes de tout ce qui bouge. L’album est enregistré dans un miniscule studio de Londres (Coyne, qui ne croit pas à la magie du studio et des over-dubs, préfère improviser à toute vitesse et dépenser le moins possible... pour pouvoir garder le reste pour lui et sa famille). Les musiciens qui l’ont accompagné – ainsi Paul Wickens, depuis pianiste de McCartney - sont tous estomaqués de le voir, d’une prise à l’autre, changer totalement les paroles des chansons. « Je n’écris jamais les textes ». Chaque face de l’album commence par un boogie hargneux et jubilatoire, Dynamite Days et Amsterdam. Puis on passe à des ballades aussi émouvantes qu’effrayantes (Lunatic, I Only Want To See You Smile, Are We Dreaming). Le son, comparé aux disques précédents, est intimiste et concentré. Pas un solo de guitare. L’arrivée de Bob Ward, guitariste et producteur, qui restera avec Kevin pendant de nombreuses années, change la donne. Côté textes, on s’inquiète un peu plus : Brothers of Mine (« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous pour me détruire ») ou « I really live round here (« Mes enfants ont peur (…) vous vous moquez de ma femme ») dévoilent des abîmes de paranoïa que ne recouvrent plus le recul artistique ou clinique. Coyne dérape. Dynamite Daze est aussi ce cas rare d’un artiste des années 70 qui accueille avec joie l’explosion punk de 76-77. Ravi des trouble-fêtes que sont les SexPistols, Coyne espère naïvement que cette claque salutaire va changer la face du show-biz...

*****

 

Millionaires and Teddy Bears (1978)

Kevin Coyne et Bob Ward (gtrs), Paul Wickens (kbds), Vic Sweeney, (dms) et Al James (bs). Produit par Kevin Coyne et Bob Ward

Fini les photos, voici les dessins. Coyne, peintre depuis toujours, illustrera désormais toutes les pochettes de ses albums. La peinture a toujours été pour lui un deuxième moyen d’expression mais elle occupera vraiment une place importante dans les années 90 avec les premières expositions en Allemagne. Millionaires and Teddy Bears est la suite logique de Dynamite Daze. Même son, même ambiance, mêmes musiciens. On attaque bille en tête par Having a Party, charge terrible contre le show-biz et les maisons de disques, où Coyne rêve qu’il entre dans une pièce tapissée de disques d’or : « Lequel est le tien ? » lui demande-t-on, et il doit confesser qu’il n’en a jamais eu, « Not a single one ! » En concert, le refrain « Spot the millionaires » devenait invariablement « Fuck the millionaires »... Millionaires and Teddy Bears devait d’abord s’appeller « Women ». L’album est en effet rempli de chansons dédiées aux femmes : femmes battues, exploitées, femmes qui rêvent de cuisiner un beau gâteau pour l’envoyer à la figure de leur mari et qui s’entendent répondre « Marigold, tu rêves… ».

*****

 

Babble (avec Dagmar Krause) (1979)

Kevin Coyne et Zoot Money (kbds), Bob Ward (gtrs), Al James (bs), Vic Sweeney (dms), Paul Wickens (kbds) et Jerry Decade (kbds). Produit par Bob Ward

L’affaire Babble n’allait pas arranger la parano galopante de Coyne. Alors qu’il commençait à jouer sur scène cette comédie musicale (écrite dès 1976) qu’il interprète avec Dagmar Krause (égérie art-rock allemande, ex Henry Cow, Art Bears et Slap Happy), Kevin a la mauvaise idée d’indiquer que cette histoire de « deux amants qui luttent pour communiquer » aurait à voir avec la vie de Myra Hindley et Ian Brady, tueurs en série dont la chronique avait effrayé l’Angleterre dix ans auparavant. Immédiatement, les tabloïds anglais, fameux pour leur vulgarité et leur démagogie, se déchaînent. On se paye la tête de l’intello chevelu qui fait l’apologie du crime. La pièce sera finalement annulée ! Le disque, musicalement dans la même atmosphère que Dynamite Days et Millionaires and Teddy Bears, est un chef-d’œuvre compact et surpuissant (même si la voix de soprano hystérique de Krause en a rebuté plus d’un). En trois ans, Coyne a sorti une série de chansons toutes plus fortes les unes que les autres ; il déborde littéralement de créativité (pour "England England", une autre de ses étranges comédies musicales restée, elle, inédite, Coyne écrit jusqu'à six chansons par jour!) S’ajoutent à cela les tournées incessantes, la pression du label, la frustration de ne pas réussir commercialement et l’alcoolisme qui s’installe... Quelque chose va craquer.

*****

 

Bursting Bubbles (1980)

Kevin Coyne et Brian Godding (gtrs), Bob Ward (gtrs), Vic Sweeney (dms) et Chris Hunter (sax). Produit par Kevin Coyne et Al James

Kevin Coyne est apparemment passé par plusieurs dépressions nerveuses et a vécu de durs moments au début des années 80. Bursting Bubbles avec sa pochette effrayante est à la fois insupportable et magnifique. Les musiciens sont différents ; est capitale l’arrivée du magnifique Brian Godding, guitariste de jazz-rock méconnu, ex Blossom Toes, groupe légendaire des sixties. Personnalité forte – Kevin le considère comme un des rares génies qu’il ait croisés mais admet aussi qu’ils ont eu de terribles conflits lors de leur collaboration – Godding entraîne Coyne dans une direction très différente des albums précédents. Le son est froid, l’atmosphère effrayante. Boîtes à rythme, saxophone déchirant, plaintes improvisées de Coyne, on nage dans le malaise comme finalement dans un vrai album de blues, quand l’artiste dépeint sa douleur, sans fard ni trucages. Du blues bizarre et dépouillé. Très bizarre.

*****

 

Sanity Stomp (1980)

Disc 1 : Kevin Coyne et Paul Fox (gtrs), Segs (bs), Dave Duffy (dms), Gary Barnacle (sax) et Paul Wickens (kbds) [le groupe The Ruts]. Produit par Paul Wickens

Disc 2 : Kevin Coyne et Brian Godding (gtrs et kbds), Robert Wyatt (dms), Bob Ward (gtrs). Produit par Kevin Coyne

Un double album sans cohérence entre les deux disques... ou alors peut-être la cohérence intransigeante typique de Coyne : d’accord pour enregistrer le premier disque avec The Ruts dans une optique « commerciale pop-rock » mais le deuxième disque sera alors une expérimentation extrême avec Brian Godding et Robert Wyatt... Toujours pleins de bonnes idées, les pontes de Virgin s’étaient en effet imaginés que Coyne pourrait peut-être remplacer le chanteur des Ruts, recemment décédé. Coyne n’y voit lui que la possibilité de montrer qu’il est tout aussi punk que tous ces jeunots. Le résultat est un premier disque étrange, pas mauvais, pas trop surprenant non plus, Coyne s’en tire très bien dans son rôle de chanteur punk bientôt quadra. Mais la perle, c’est bien sûr le deuxième disque : on continue à regretter que Wyatt n’ait pas été invité à chanter mais apparemment l’état mental de Kevin à ce moment ne lui permettait pas de partager le devant de la scène. De superbes titres, bâtis sur la subtile batterie de Wyatt et les arpèges étranges de Godding, offrent à Kevin une base solide et étonnante pour de longs délires oniriques (« New Motorway », « Wonderful Wilderness ») ou comiques (« My wife says » ou « The World Speaks » et ses désopilantes énumérations : « Yoko- peace ; cabbages-peace... »). L’album se termine abruptement par « You Can’t Kill Us », retour au blues agressif et dépouillé de Coyne « Vous pouvez me traiter de neurotique ou de psychotique mais vous ne pouvez pas me tuer »).

****

 

Pointing The Finger (1981)

Kevin Coyne et Brian Godding (gtrs), Dave Sheen (dms), Steve Lamb (bs) et Steve Bull (kbds). Produit par Kevin Coyne et Brian Godding avec G.L.S. (Godding, Lamb, Sheen)

Départ de Virgin et nouvelle dépression nerveuse. La pochette – le dessin autiste du verso ou la photo déprimée au verso – en disent long sur la douleur du bonhomme. La musique n’est pas plus enjouée. Pointing The Finger est pourtant un des albums préférés des fans : le seul enregistré avec GLS (Godding-Lamb-Sheen plus Steve Bull aux claviers), le groupe qui l’accompagnait sur scène, un combo de brillants jeunes musiciens de la scène jazz-rock. Godding, maître de cérémonie, est le chaînon manquant entre Jimmy Page et Jeff Beck, monstrueux guitariste, capable des arpèges jazz-rock les plus sophistiqués et de riffs tueurs (« As I Recall »). Coyne manipule toute cette énergie pour exprimer son malaise et porter ses mots. Ses notes de pochette, où il détaille le thème de chaque chanson, sont un précieux regard sur le processus de création coynien. L’album est d’une puissance extrême, témoin du schisme entre la révolte et l’impuissance qui traverse l’artiste.

*****

 

Pøliticz (1982)

Kevin Coyne et Pete Kirtley (gtrs), Steve Bull (kbds). Produit par Kevin Coyne, Pete Kirtley et Steve Bull

Encore un bon exemple de la façon dont Coyne utilise le talent de ses accompagnateurs : Steve Bull lui propose des demos brutes de thèmes enregistrés au synthé. Coyne s’en empare et refuse de les réenregistrer. Il improvise des lyrics par-dessus ces bandes et sort, intact, le résultat. Sur le reste de l’album, ce sont des chansons magnifiquement accompagnées à la guitare acoustique par Peter Kirtley (qui remplace Godding dans le groupe de scène). Pourtant, malgré cette dychotomie électronique-acoustique, Pøliticz fonctionne parfaitement : Coyne y est au sommet de son art ; « Banzai » ou « Tell the Truth » sont des plongées angoissantes dans un univers de folie sur ces boucles techno entêtantes; « I’ve got the Photographs » ou « Flashing Back » font partie de ces précieux, car trop rares, moments acoustiques dans l’œuvre de Coyne.

****

 

Rough, Kevin Coyne Live (live-1983)

Kevin Coyne et Peter Kirtley (gtrs), Dave Sheen (dms) et Steve Lamb (bs). Enregistré live at Schauburg, Bremen, Germany, 6 décembre 1983

Superbe groupe juste avant la chute. Coyne va bientôt s’écrouler: divorce, alcoolisme, dépression ; il partira s’installer en Allemagne pour des années de galère ; les fans n’entendront plus parler de lui et le rangeront au rayon des oubliés. Le son de Rough est puissant, la guitare de Kirtley et ses soli inspirés, la rythmique assure parfaitement – Lamb est un virtuose de la basse fretless. Coyne revisite « House on the Hill » ou « Pretty Park » dans des versions nerveuses et lyriques ou s’emballe dans « Monkey Man » et une version estropiée de « Lucille ». LP malheureusement trop court, la réédition en cd dans les années 90 rajoutera plusieurs morceaux inédits.

***

 

Legless In Manilla (1984)

Kevin Coyne et Dave Sheen (dms), Steve Lamb (bs) et Pete Hope-Evans (harmonica)

Produit par Kevin Coyne

Sorti sur son propre label (« Collapse » qui, en effet, s’écroulera immédiatement), Legless In Manilla est un superbe LP un peu oublié. Son absence de guitare solo (Coyne et Kirtley ne s’entendaient plus... combien de musiciens Coyne aura-t-il ainsi épuisé ?) en fait un des albums les plus blues de Kevin Coyne. « Big Money Man» ou « Money Machine », c’est Coyne presque en solo. Le grand moment du LP, c’est la superbe complainte hypnotique « Gina’s Song ». Mais tout ce blues est bien sur contre-balancé par les bons vieux délires improvisés de « Zoo Wars » ou « Raindrops on the River ».

***

 

Stumbling Onto Paradise (1987)

Kevin Coyne et Hans Pukke (gtrs), Robert Steinhart (bs) et Falk Steffen (dms). Produit par Hans Pukke, Kevin Coyne et Wolfgang Eller

Premier album allemand, passé inaperçu à l’époque par manque de distribution. Avec le recul, ce n’est pas un si mauvais album : les suivants seront bien pires... Mais cette coupure franche avec les disques précédents, cette immersion violente dans un son léché par des musiciens de studio proprets reste difficile à encaisser pour le fan de « Marjory Razorblade ». Si « Tear me up » ou « Victoria Smiles » arrivent à explorer de nouvelles directions, le reste passe par des tartes à la crème (« Back Home Boogie », « How is your Luck ») décourageantes.

**

 

Everybody's Naked (1988) *

Kevin Coyne et Hans Pukke (gtrs), Robert Steinhart (bs), Falk Steffen (dms) et Henry Beck (kbds)

Produit par Hans Pukke et Wolfgang Eller

Romance-Romance (1990) *

Kevin Coyne et Hans Pukke (gtrs), Henry Beck (kbds), Friedl Pohrer (bs), Martin Mueller (dms)

Produit par Hans Pukke et Wolfgang Eller

Wild Tiger Love (1991) *

Kevin Coyne et Hans Pukke (gtrs), Henry Beck (kbds), Friedl Pohrer (bs), Martin Mueller (dms), et special guest Norbert Nagel (sax)

Produit par Hans Pukke et Charlie Bauerfeind

Rien de plus éloigné du blues viscéral de Coyne et de ses improvisations en studio que la froideur méticuleuse des musiciens allemands qui forment le Paradise Band de 1985 à 1992. Pourtant, ne leur jetons pas la pierre : à son arrivée à Nuremberg, Coyne est une loque dépressive et alcoolique, un quasi-clochard ; il a divorcé, quitté l’Angleterre, il n’a plus de guitare, vit dans des squats. Le syndicat des musiciens local le fait jouer contre des bons de logement ou de nourriture pour l’empêcher de tout boire, puis assemble autour de lui un groupe formé des meilleurs musiciens du coin et arrive enfin à le désintoxiquer. Sans tous ces braves gens et, en particulier, sa seconde femme, Coyne y laissait probablement sa peau. Déprimé, désintéressé, Coyne enregistre avec eux sans trop y croire trois mauvais albums. Au contraire des disques précedents où il utilisait les musiciens, prenant le mieux de chacun d’eux pour les « coyniser », il se laisse maintenant promener. « Ils passent leur temps en studio à chercher le son parfait ! Qu’est-ce que ça peut bien être le son parfait ? ». Hyper cleans, aux musiques banales, ces disques n’ont rien ou presque qu’on ne veuille retenir, même si les ultra-fans trouveront peut-être au milieu du sirop ou du hard germanique middle-of-the-road quelques traces de l’ancien génie (« Take me back in your arms », « The Bungalow Song »). C’était apparemment l’étape nécessaire pour ressortir du gouffre.

 

Peel Sessions (compilation-1973/1990)

Attention chef-d’œuvre. John Peel est un fan de toujours – il a le premier signé Coyne sur son label Dandelion Records puis a continué à l’inviter régulièrement à la BBC. Coyne lui offrait régulièrement nouveaux morceaux, versions inédites ou improvisations. Ce recueil est superbe (mais très incomplet : il y a dans les archives de quoi remplir 4 cd, sans un seul défaut !). On va du Marjory band à celui de Matching (« invraisemblable et clownesque « Dance of the bourgeoisie »), à Bob Ward déchaîné à l’électrique (« That’s Rock’n’Roll », un hommage au punk qui décoiffe), en passant par des ballades poignantes souvent créées sur le moment (« Do not shout at me Father » ou l’angoissant « Rivers of Blood »), Coyne se révèle, pour ceux qui l’auraient raté sur scène, être un performer incroyable. Les chanceux qui l’ont vu improviser en février dernier aux côtés du gamin Jeffrey Lewis auront eu la preuve que l’âge et la maladie ne peuvent rien contre sa présence scénique.

*****

 

Burning Head (1992)

Kevin Coyne et Hans Pukke (gtrs, kbds) et Robert Coyne (gtrs). Produit par Hans Pukke.

Quelle idée...! Puisque Coyne est redevenu peintre et que, en ce début d’années 90, ses expos en Allemagne marchent plutôt bien, Rockport, sa maison de disque, lui propose de sortir son prochain disque en série limité (1000 exemplaires) et d’accompagner chaque cd d’un dessin original numéroté... et de vendre le tout 350 deutschmark !! Autant dire que plus de 10 ans après, les 1000 exemplaires ne sont toujours pas partis (on doit pouvoir négocier, avis aux amateurs...). Burning Head est un album charnière : la plupart de l’album est comme les cds précédents dominée par le guitariste Hans Pukke et sa production immaculée et lénifiante mais Coyne relève la tête, signe plusieurs morceaux où il s’accompagne seul sur sa vieille guitare rudimentaire. De plus, Burning Head marque l’apparition de Robert Coyne, deuxième fils de Kevin, qui va bientôt aider à sa renaissance musicale. « Hope the Devil don’t Come » a un petit air Springsteen, « Totally Naked » est du Coyne 100% : c’est bientôt le retour !

**

 

Tough And Sweet (1993)

Kevin Coyne et Henry Beck (kbds), Robert Coyne (gtrs, kbds, dms, bs), Eugene Coyne (le fils ainé, vocals), Hans Pukke (gtrs, kbds). Produit par Kevin Coyne et Henry Beck

Tough And Sweet transforme l’essai : aidé de ses deux fils, Coyne repart à zéro. On efface les virtuoses desséchés, les productions et les sons déshumanisés et on lui offre à nouveau le support nécessaire à son art d’improvisation. Robert est un guitariste basique : le son gras de sa Les Paul évoque Bolan. Kevin est en pleine forme. « Let’s get Romantic », en duo avec son fils aîné, est un plaisir. Pukke et Henry Beck arrivent encore à placer leurs compositions, déséquilibrant un peu l’album, mais on est habitué à ce genre de chaud et froid dans un album de Coyne. On est sur la bonne pente : Tough and Sweet annonce déjà l’excelent Sugar Candy Taxi.

***

 

Elvira / From The Archives (1979/1983)

Kevin Coyne et Bob Ward (gtrs). Produit par Kevin Coyne

Kevin Coyne et Brian Godding (gtrs), Steve Bull (kbds), Martin Normington (sax), Dave Sheen (dms), Steve Lamb (bs). Produit par Kevin Coyne et Bob Ward

En 1994, Rockport a la bonne idée de sortir ces vieilles bandes inédites. Elvira était une comédie musicale dans le genre de Babble. On n’a ici que les démos chantées par Kevin : un bonheur de découvrir ces perles des années 70. From The Archives est de 1983 et on comprend qu'elles n'aient pas trouvé de maisons de disques à l'époque. Il s’agit probablement de la période la plus folle de Coyne. Les musiciens improvisent, Coyne hurle : on est dans le territore de Beefheart. Dur.

***

 

The Adventures Of Crazy Frank (1995)

Kevin Coyne et Friedrich Pohrer (gtrs, bs, kbds), Werner Steinhauser (dms), Henry Beck (organ), Willi Pichl (hautbois), Keili Keilhofer (gtrs). Produit par Friedl Pohrer et Kevin Coyne

Coyne s’est sans cesse nourri du music-hall anglais (on pense à ses vieux morceaux désopilants « Karate King » ou « Good Boy » mais aussi au côté théâtral de ses shows (voir le célèbre Rockpalast). The Adventures Of Crazy Frank est un spectacle, inspiré de la vie de Frank Randle, comédien alcoolique anglais des années 40 et 50. Coyne, qui pointe aux Alccoliques Anonymes, tourne la page de son passé en racontant ces histoires de delirium-tremens et de mariages détruits. Le tout avec beaucoup d’humour. « Crazy Fank » est un bel album acoustique. Friedl Pohrer, ex-bassite du Paradise Band, se révèle être un bon acompagnateur, discret mais efficace.

**

 

Knocking On Your Brain (1996)

Kevin Coyne et Gary Lucas (gtrs), Tom Liwa (synthesizer), Ali Neander (gtrs), Wily Wagner (bs), Ralf Gustke (dms, percussion), Jürgen Wüst (organ, kbds), Constanze Posth (violoncelle, saxophone). Produit par Ali Neander et Kevin Coyne, co-produit par Tom Liwa

Retour en arrière. Knocking On Your Brain eut à l’époque une bonne presse, en particulier grâce à la présence du guitariste de Captain Beefheart, Gary Lucas, qui co-signe deux titres « Wonderland » et « English Rose ». Les autres musiciens sont des free-lance de haut-niveau allemands qui jamment ensemble, laissant Coyne improviser à sa guise. Le résultat est mitigé et quelques terribles tartes à la crème (l’abominable reggae germanique « Aching Heart ») gâchent un double cd qu’un peu de rigueur aurait peut-être dû ramener à un simple. A noter la magnifique ballade autobiographique, Weirdo.

**

 

Sugar Candy Taxi (1999)

Kevin Coyne et Robert Coyne (kbds, gtrss, dms), Eugene Coyne (vocals, kbds), Hans Raths (sax, flute), Alexander Bätzel (dms). Ingénieur du son : Thomas Adapoe

« Mon album le plus honnête depuis des années ». Robert Coyne a le champ libre et signe tous les morceaux avec son papa. Son style presque naïf donne le ton d’un album charmant, le plus réussi de la production de Kevin des années 90. Robert embellit la production de belles nappes d’orgue qui donnent au titre Sugar Candy Taxi (une drôle d’aventure d’Al Capone) une agréable légereté. A côté de boogies sympathiques et efficaces (« My wife’s Best Friend », « Happy Little Fat Man » qu’invariablement sur scène Kevin dédie à lui-même), l’album marque aussi le retour des morceaux déjantés (« Almost Dying », « Fly ») ou solo (« Porcupine People »).

****

 

Room Full Of Fools (2000)

Kevin Coyne et Robert Coyne (gtrss, bs, kbds), Steve Smith (dms), Werner Steinhauser (dms). Produit par Kevin Coyne et Robert Coyne. Engineered by Thomas Adapoe et Ben Elliot

Digne successeur de Sugar Candy Taxi, ce cd enfonce le clou. Le titre Room Full Of Fools est encore un bon boogie à la T. Rex qui fonctionne parfaitement. Les morceaux bizarres alternent avec de belles ballades nostalgiques. On est content de retrouver le son de Sugar Candy Taxi et de voir Coyne en pleine forme improviser à nouveau en studio «(« The Einstein Song », « Whispering Desert »).

**

 

Life Is Almost Wonderful (avec Brendan Croker) (2002)

Kevin Coyne et Brendan Croker (acc gtrs). Enregistré par Werner Steinhauser (Nuremberg) et Bruce Wood (Leeds)

Pourquoi ce cd n’a pas eu des quatre-étoiles dans tous les magazines de rock (et de folk), pourquoi il ne fait pas partie des classiques de l’année 2002, ça reste un mystère... Quoique... l’absence totale de distribution ne lui donnait pas toutes ses chances. Le cd n’était vendu – cher – qu’aux concerts des deux compères. Ils auraient voulu passer inaperçus qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Coyne et Croker – qui avait joué avec Clapton et Knopfler – sont deux artistes qui n’arrivent pas à se prendre la tête avec des histoires de labels, de distribution et autres bassesses matérielles. Tant pis. Le principal, c’est ce merveilleux cd acoustique. « Enregistré par la poste » (Croker envoyait des basic-tracks de guitare et Coyne improvisait ses lyrics par-dessus), l’album est pourtant une symbiose étonnante, comme si les deux personnages étaient parfaitement sur la même longueur d’onde. La tournée de promotion du cd le prouvera d’ailleurs : c’était un plaisir de voir Croker pouffer de rire pendant les élucubrations de Coyne. Trop de bons titres pour faire le détail : « Life Is Almost Wonderful » est un chef-d’œuvre où, accompagné de l’acoustique de Croker – dont une guitare-harpe somptueuse – Coyne évoque les souvenirs de guerre, les années 50 de son enfance, les écoles catholiques et d’autres sujets saugrenus tels que les yeux multicolores des perroquets ou l’histoire de cet employé de bureau anglais qui voulait creuser son jardin pour arriver en Australie...).

*****

 

Carnival (2002)

Kevin Coyne et Robert Coyne (gtrss, kbds), Werner Steinhauser (dms), Michael Lipton (gtrs). Produit par Kevin Coyne et Robert Coyne

Carnival est dans la veine de Sugar Candy Taxi et Room Full Of Fools, mais les titres se font  peut-être un peu moins évidents. Notez l’arrivée de Michael Lipton, un bon guitariste qui joue avec Coyne lors de ses tournées américaines (Kevin n’a commencé à jouer aux US que depuis une petite dizaine d’années dans une gentille indifférence...) ; Lipton qu’on retrouvera dans le prochain cd et qui signe ici « Charlene », une belle ballade. Robert enmène son père dans une reprise invraisembable de Rolling and Tumbling, quasi techno, plutôt réussie.

***

 

Donut City (2004)

Kevin Coyne et Robert Coyne (kbds), Andreas Blüml (gtrs), Michael Lipton (gtrs), Harry Hirschmann (bs), Werner Steinhauser (dms), Andrea Fleissner (choeurs). Produit par Kevin Coyne et Werner Steinhauser

Pour les fans de Kevin Coyne, ce 41ème album est une vraie fête ; il se présente comme un best of de ses nombreux talents. Pour les autres, c’est le disque parfait pour découvrir un personnage d’une créativité intacte malgré les années et la maladie (Coyne, 60 ans, souffre depuis un an d’une maladie respiratoire qui n’entame en rien sa voix). En pleine possession de ses moyens, Coyne maîtrise parfaitement l’album d’un bout à l’autre. Le son est dépouillé, les musiciens au service du chant et des textes. Le groupe est celui qui tourne actuellement avec lui : Andreas Blüml, Harry Hirschmann, Werner Steinhauser qui co-signe aussi la production. Les rejoignent sur quelques morceaux Robert Coyne qui signe à nouveau quelques unes de ses chansons pop hypnotiques un peu inquiétantes et l’Américain Michael Lipton qui clôt l’album en frappant sur la reverb de son ampli. Mais le héros, c’est Coyne. Le chanteur à l’incroyable voix, le songwriter aux textes personnels, dérangeants, effrayants ou carrément fous. Il a composé plusieurs titres au piano ; il a une façon très personnelle de jouer du piano. Pour reprender une dernière fois l’analogie avec Beefheart, c’est vrai que Kevin joue un peu du piano comme le Captain jouait du saxophone... Musicalement, on passe par toutes les facettes de son talent : des blues-rock acoustiques avec son célèbre jeu de guitare rudimentaire, "No More Rain" une espèce de ballade country-pop qui rappelle son vieux "Marlene" puis on saute en plein délire avec l’angoissant "I Hear Voices" ou dans la pure folie de "Come Back Home" , prière gospel accompagnée à coup de poings sur un piano saturé. Sans oublier "Big Fat Bird" avec une des spécialités coyniennes, la voix qui répète en arrière-plan comme une rythmique la même phrase pendant toute la chanson et qui rappelle l’inoubliable "Mona where’s me trousers". "Crocodile" est une métaphore de sa maladie. Enfin "Smile Right Back", un superbe titre, digne de Beautiful Extremes Etc. Tout ça échappe à toute possibilité d’étiquetage : c’est du Kevin Coyne ; ça va du blues à l’avant-garde sans crier gare. Comme pour tous ses albums, Coyne improvise en studio, la musique comme les paroles. Les musiciens ont donc enregistré leurs parties après le chant. Le monde à l’envers.

Il l’a souvent chanté : "I’m Still Here !" . Il est oublié, il joue dans de petites salles et vend peu de disques, il s’en fout. Il est conscient de sa valeur. Il continue. Il est au sommet de son art.

Laissez-vous entraîner.

*****

 

et aussi :

Let's Have A Party (compilation-1973/1976), un LP recueil de quelques singles et en face B, un concert de l'époque de Heartburn. Dispensable et, de toute façon, quasi-introuvable.

 

Sign Of The Times (compilation-1973-1980). Ce cd est une belle compilation des années Virgin avec plusieurs titres de Blame it on the Night.

Bittersweet Love Songs (compilation-1984/95). Une compilation des années allemandes que vous ferez bien de soigneusement éviter.

 

Le site officiel : www.kevincoyne.de

Le site pas officiel : www.kevincoynepage.tk

Le Kevin Coyne Group: www.kevincoyne.tk


Tous ces textes sont la propriété de Pascal REGIS; merci de ne pas les utiliser sans son accord.

(PASCAL REGIS HOME)