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Des articles:
(parus pour la plupart dans Froggy's Delight, web-zine musical)

 

 

Air Guitar, Plus branché tu meurs !
Paris, le 21 juin 2004 (Nouveau Casino) 

Le Championnat de France de Air Guitar, c'était pendant la Fête de la Musique, au moment même de France-Suisse (ce qui a eu pour effet secondaire de remplir la salle de plus de filles que de garçons... Cool. En fait, les filles adorent l'Air Guitar; elles en font même : il y avait ce soir-là, entre autres, la championne en titre, les Pioutes et surtout les Fresh Morues, dont je ne vous dis que ça).
L'Air Guitar c'est tellement branché que je ne vous ferai pas l'insulte de vous raconter ce que c'est.
Le grand vainqueur - qui partira en Finlande - pour le Championnat du monde – c'est BGR (fidèle assistant du Capitine Braquemart qui était pas mal non plus). Avec sa cape verte, son masque et ses gants de cuisine, BGR a sut rendre toute la subtilité et les nuances du guitariste de Motorhead. Un head-banging très travaillé mais qui reste pourtant naturel. Un jeu de jambes – ah ces entrechats! - à faire pâlir Johnny Ramone. Du moulinet à la Pete Townshend juste quand il faut. Du grand art. Les jurés apprécièrent toute cette technique, les notes de 5.9 voire 6 récompensaient justement tant de talent.
Le site officiel : http://airguitarfrance.free.fr
(dessin Doro)

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Archie Bronson Outfit - Fur

Gros-gros son pour Fur, le premier cd des Archie Bronson Outfit. Produit par Hotel (guitariste des Kills), ca décoiffe dès le premier morceau, Butterflies, et sa batterie énorme. Anglais sonnants comme des Américains, Archie Bronson Outfit n’a pas de problèmes de conscience : ils exploitent à fond le classic-rock, celui qui plaisait à vos parents. Et ca marche. En plus, derrière tout ce boucan à l’ancienne, on perçoit des relents encore plus vieux de psychédélique (dans Pompeii par exemple) qui sont tout sauf désagréables. Trio puissant et efficace, ABO ne fait pas dans la dentelle, et, si leurs ballades puent un peu des pieds, dans l’ensemble, ca déménage comme on aime. Bref, on avait hate de les voir en concert...
Et, comme prévu, ce fut énorme. Sam Windett martelle des riffs surpuissants et efficaces sur une vieille Gibson SG qu’il fait sonner comme celle de Pete Townshend dans The Who Live at Leeds (pour vous donner une idée...) ou sur une Fender Jazz Master accordée en open-tuning pour les morceaux plus psychés. Mark Cleveland joue sur une batterie minimaliste (grosse caisse, caisse claire, tom basse) et frappe comme un possédé ; Dorian Hobday a une classe folle et une vieille Ephiphone ; son travail à la basse pousse le groupe au-delà de ses limites.
Main d’Œuvres est a peine rempli, ils n’ont pas eu le temps de faire une balance mais le groupe est extrémement en place ; ils réinventent sans complexe un rock à l’ancienne, un rock puissant et énergique mais pas lourd, un rock d’avant l’invention du hard ou du métal.
Avant le concert, j’avais eu droit à une interview exclusive (en français, ca veut dire que les autres medias n’avaient pas daigné se déplacer). Là, je vous avoue que c’est un peu décevant... Fatigués d’une tournée de deux mois qui les enmène de Croatie aux Pays-Bas en passant par la France, le groupe n’a pas grand chose à dire... Leur discours est un peu basic mais pas désagréable : nous sommes musiciens ; qu’est-ce qu’on pourrait dire de plus que notre musique ? Ils ont de braves têtes d’étudiants aux Beaux-Arts (ce qu’ils ont été… comme tous les musiciens anglais des années 60), tous les trois avec un petit collier de barbe propret ; ils sont polis, réservés, ils n’ont rien à voir avec les énergumènes qui malmèneront nos oreilles sur scène quelques minutes plus tard. Bref, on est loin des Libertines, pas la moindre anecdote croustillante, pas la moindre couv de magazine branché en vue.

Propose receuillis en vrac :
L’album a été enregistré presque live in the studio, même les voix ; très peu d’overdubs. On reste donc très près d’un disque de scène. Le but était de faire simple. Le producteur a, lui, énormément travaillé le son des guitares.
A propos du son très 70’s, le groupe ne voulait pas spécialement ressembler à qui que ce soit, ni que l’album n’ait l’air vieux ou moderne ; ils voulaient faire un album intemporel (allez, les gars, faites un effort, trouvez quelque chose à me raconter... vous n’avez jamais cambriolé votre guitariste pour acheter votre dope ?).
Le côté psychédélique du groupe ? Oui, c’est sur, ca nous influence. Le guitariste a beaucoup écouté le son des guitares des groupes garage américains.
Les lyrics, très abstraits, sont écrits par le batteur.
Des influences ? pleins... (aidez-moi les enfants, vous êtes le cauchemar de l’inteviewer !). On écoute beaucoup de choses, on en retient un peu, sans faire attention. Cream ? J’ai écouté ca quand j’avais 14 ans je crois… John Spencer ? Pourquoi pas... La plupart du temps, quand on nous compare à des groupes, on ne les connait pas. On nous a dit que le dernier morceau ressemblait à du Black Sabbath joué par un groupe de folk. D’ailleurs, on est surtout branché folk. Folk ???
Des guitaristes qui t'ont influencé ? John Fahey. Fahey, le roi du flat picking folk acoustique ?? Pitié ! Leo Kotke aussi...
Et, pour finir,  qui est Archie Branson ? Un personnage de Buffallo Bill.
Enfin, sachez que le groupe songe à quitter Londres pour s’installer à Paris.
En résumé, un bon cd mais, surtout, un groupe à ne pas rater sur scène lors de leur prochain passage.

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Badly Drawn Boy - One Plus One Is One

Il a ses fans Damon Gough, le garçon mal dessiné. On évoque souvent à son sujet la « parfaite pop anglaise... ». Et c’est vrai que sa jolie voix, le beau son de sa guitare acoustique ou de son piano, les quatuors à cordes, les percussions d’orchestre, on passe un bon moment...
Le livret du cd, très soigné, installe une esthétique très personnelle, un pot-pourri de carte-postales british à la Dickens (le site lui aussi est joli à regarder).
Mais la musique, quelles surprises ? Quoi qu’on n’ait pas déjà entendu cent fois ailleurs ? Et pas du côté des meilleures références : dans les pires moments, on s’ennuie autant que dans un album de Cat Stevens.
Le plus comique, c’est « Summertime in Wintertime », incroyable titre à la Jethro Tull, complet avec solo de flute ! (Il y a donc encore de nos jours des gens pour écouter Jethro Tull !). Tout ce côté vieux baba, les choeurs d’enfant de Pink Floyd, quel ennui... Tenez, il tient à nous dire que la fabrication des cds est une cause du réchauffement de la planète et que, pour se faire pardonner, il plantera autant d’arbres qu’il faudra pour absorber le CO2 créé par son cd... On croit rêver.
Un album pas mauvais en fait, mais sans personnalité, impregné de références passéistes mal digérées. Qu’est-ce qu’il nous en restera dans une semaine ?

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Plus branché, tu peux pas : le Bar 3

Où est la scène rock à Paris ? Où écouter de la musique qui fait du bruit comme on aime ? Essayez le Bar 3. C’est un club à l’anglaise tenu par Tim, un australien. Au sous-sol, une enfilade de caves voutées superbement aménagées, avec bar, DJ, scène pour groupes de rock et même de belles alcoves avec des canapés pour les amoureux... Tous les mercredis soir, le Bar 3 fait une soirée rock : du rock à la Strokes & cie, avec des guitares qui font du bruit. Le groupe-maison, c’est Les Parisians, le groupe préféré des Libertines (quand je vous disais que c’est un endroit branché !).

Bar 3, 3 rue de l'Ancienne-Comédie. Métro Odéon - 01 43 25 78 01 –Entrée : 5 euros.
http://theparisians.fr.st/ Les Perfect Kevins 

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The Beatles  - Let it Be Naked

Internet est rempli de quiz imbéciles destinés aux completistes-rock dans mon genre et la moitié de ces quiz est consacré aux Beatles. Et ces quiz sur les Beatles posent tous la même question : « Quel est le dernier album des Beatles ? ». Les fans ocasionels répondent « Let it Be » ; les obsédés répondent « Abbey Road » (merci, c’était vraiment très intéressant…).
« Let it Be » a en effet été enregistré avant « Abbey Road » mais il est resté, inachevé, dans les cartons jusqu’à sa sortie en 1970.
En janvier 1969, après le double blanc, les Beatles décidaient d’enregistrer leur nouvel album. Ils sont à l’époque, sans aucune hésitation possible, le plus grand groupe au monde. Autant dire qu’on les attend au tournant. La critique s’est régalé à éreinter « Magical Mistery Tour », mauvais téléfilm à la musique parfaite. Ils savent qu’ils doivent toujours étonner et se surpasser. Dur d’être un Beatle. Surtout à cette époque : ils fatiguent. George Harrison en a marre d’être la troisième roue du carosse et que ses compos soient régulièrement refusées (il quittera même un moment le groupe pendant l’enregistrement de « Let it be ») ; John Lennon ne quitte pas Yoko Ono dont la seule présence a le chic pour taper sur les nerfs des trois autres ; Ringo Starr s’en fout, ou plutôt, il voudrait que ce soit comme avant, quand les quatre amis s’amusaient à faire de la musique ; quant à Paul McCartney, il a une idée très précise et un peu mégalo de ce qu’il veut faire des Beatles…
Les chefs-d’œuvres psychédéliques que sont « Sergent Pepper’s », « Magical Mistery Tour » ou les singles « Peny Lane » et « Strawberry Fields », quand les Beatles passaient tout leur temps et leur énergie à expérimenter en studio avec le formidable George Martin, sont loin derrière. On n’a plus envie de travailler. On veut du spontané. Lennon dit à Martin qu’ils n’ont pas besoin «  de toute sa merde de production »… Déjà, l’extraordinaire album blanc était l’album de la lassitude après l’euphorie, de la fatigue après l’entoushiasme, de la redescente après la drogue… Lennon se laisse aller dans ses textes : on passe du surréalisme de « Strawberry Fields » a des textes plus brut (« I’m so tired ») ou, dans « Let it be », à la blague pure et simple : « Everybody pulled their socks up/Everybody put their foot down). On a déjà un avant-goût des albums solo à venir.
« Let it Be » continue dans cette voie : le concept du nouvel album sera « live in the studio ». Aucun re-recording autorisé. Les quatre Beatles jouent tous ensemble (ils sont bientôt rejoints par leur viel ami Billy Preston au piano électrique) ; si la prise n’est pas bonne, on recommence tout. Toutes les répétitions sont filmées et on prévoit de terminer le film par un concert, le premier (et dernier) concert des Beatles depuis août 1966…
Très vite, ca dégénère : le studio de cinéma de Twickenham est froid et inhospitalier ; le groupe, habitué à travailler la nuit, a du mal à s’adapter aux horaire de bureau des cinéastes. Ils regrettent leur bon vieux studio d’Abbey Road… Le concept de « live in the studio » implique des centaines de prises qui minent tout le monde (et feront la joie des bootleggers…). On en arrive à ce genre de délire : « Cétait comment ? » « Bien, mais la grosse caisse était mieux sur la prise 96 ; en revanche, au troisième couplet, la voix était plus juste sur le prise 45 »…
Etre filmé 24 heures sur 24 alors qu’on a du mal à se supporter, ce n’est pas l’idéal. George se tait ou s’engueule avec Paul ; les discussions sur le choix du concert s’éternisent : la réédition « Let it be… Naked » est accompagnée d’un disque de 20 minutes, montage d’impros et de discussions ; on y entend Paul proposer de jouer en Arabie ou Lennon demander qu’on lui trouve au plus vite deux paquebots, qu’on les remplisse d’amis et qu’on joue sur le pont, au large (George, laconique : « That idea is completly insane. »). On a l’impression de voir les joints circuler… C’est finalement George, qu’on ne croyait pas si punk, qui aura l’idée finale : faire un concert interdit, que la police viendra interrompre.
Après le départ puis le retour de George, ils déménagent dans leurs bureaux d’Apple, reprennent l’enregistrement et jouent finalement sur le toit de l’immeuble, pour un concert mémorable, le 30 janvier. Puis, ils enchaînent sur ce qui sera « Abbey Road », laissant à Glyn Johns, l’ingénieur du son, le soin de faire un album de toutes les bandes enregistrées en janvier. Ce premier montage est rejeté. Et « Let it Be » dort dans un tiroir jusqu’à ce que Lennon donne, sans en parler aux trois autres, les bandes à Phil Spector pour qu’il les remixe. Idée extravagante : Phil spector, c’est le « Wall of Sound », les orchestres philarmoniques, les chœurs, c’est toute la démesure et le mauvais goût. Et on plaquait ça sur ce qui se voulait au départ un album « live in the studio » ! Paul le prend très mal. Il y a de quoi : les ballades en particulier  sont noyées dans un sirop gluant et mélo.
Cette réédition a enfin nettoyé les bandes orignales de toute cette soupe. On peut y voir encore une fois – après la sortie de la Beatles Anthology – la volonté de McCartney de réécrire l’histoire, maintenant qu’il est un des deux seuls survivants. On peut rêver en effet à ce que le trouble-fête Lennon dirait de la version « tout-le-monde-il-est-beau,tout-le-monde-il-est-gentil » de l’histoire des Beatles proposée aujourd’hui par Macca… Mais bon, ce qui compte, c’est d’avoir enfin un magnifique album « Let it Be », qui enterre les centaines de pirates tirés de ces sessions de janvier 70. Le son remasterisé est absolument extraordinaire et on a vraiment l’impression d’être avec eux dans le studio. Le plus émouvant est de découvrir de belles parties de guitares ou des chœurs de John ou Paul là où on ne connaissait que des nappes indigestes de violons ou de dizaines de sopranos américaines.
On regrettera peut-être tous les petits intermèdes, dialogues de studio et blagues de Lennon : « Maggie Mae » et surtout l’ impro « Dig it » (qui sur les pirates fait près de 15 minutes). En revanche, on a droit à « Don’t let me down » qui n’était à l’époque sorti qu’en single.
Ce « Let it Be… Naked » est un excelent moyen de redécouvrir un album un peu oublié des Beatles, celui d’un retour aux sources après de fastueux délires, celui aussi où ils se retrouvent, comme au bon vieux temps d’Hambourg, à hurler un de leurs premiers morceaux, le rock’n’roll « One After 909 ».
Vivement un dvd de « Let it be » le film.

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Black Keys. Interview de Dan Auerbach (guitare, chant)

Interview réalisée le 8 novembre 2004 entre deux enregistrements télé pour L’Album de la Semaine de Canal + dans le Studio 104. Après avoir joué à la Cigale le 5 novembre, le groupe était parti pour Bordeaux, revenu à Paris pour une journée promo et télé et repartait le lendemain pour Bilbao et Marseille...

Apparement, vous avez une dure journée tous les deux ?

DA : Une dure semaine.

Tu y arrives ?

DA : Je suis fatigué. Ca fait deux nuits où je ne dors que 4 heures, pareil ce soir, et on enchaîne sur 4 concerts. Aujourd’hui, on a du faire 10 chansons trois fois de suite, on a même pas le temps de s’arrêter pour manger ou dormir... Mon diner, ca sera ces cacahuètes...

Vous vous amusez encore ou c’est trop ?

DA : J’essaye, mais c’est beaucoup de boulot.

Quand rentrez-vous à la maison ?

DA : Ca fait longtemps que je n’ai pas été chez moi. Et la tournée va continuer jusqu’en avril. Sans qu’on ait un vrai break de plusieurs semaines.

C’est la première fois que vous venez en Europe ?

DA : C’est la première vraie tournée. On était venu faire des interviews à Paris il y a un an.

Le groupe devient vraiment énorme en Europe. Vous vous attendiez à ca ?

DA : Je ne m’attendais à rien. Je ne m’attendais même pas à être capable de payer mon loyer. Toute cette histoire laisse une grande part de chance. Je m’en félicite.

La semaine dernière vous avez joué au Festival des Inrockuptibles. Ca s’est passé comment ?

DA : C’était bien, très bien. Le public en délire...

Je trouvais le choix des groupes ce soir-là un peu étrange ; vous faire jouer avant les Libertines et Miossec...

DA : Les Libertines sont plus connus que nous, c’est sur.

Ils sont très branchés. On parle beaucoup d’eux, de leurs histoires de drogue. Votre groupe, au contraire, est un groupe de musique, exclusivement, ce n’est pas un groupe branché.

DA : On n’est pas branchés. Notre hisoire à nous, c’est : pas d’histoire. On enregistre, seuls. On aime ca, on aime jouer. Moi, j’aime être à la maison, aller promener mon chien. Je n’aime pas les fêtes, je n’aime pas boire, je n’aime pas les interviews, je n’aime pas toute cette merde. Je porte le même jean depuis un mois.

Tu es musicien. Mais les Inrockuptibles, c’est un journal très branché et un festival très branché ; pourquoi penses-tu qu’ils ont adopté les Black Keys ? Ils se disent : c’est le prochain gros truc ?

DA : Je ne sais pas. Ils ont été bien gentils de nous demander de passer. Ils ont été parmi les premiers à nous interviewer en France. Tant mieux. Le prochain gros truc... je n’en sais rien, on ne pense pas à ca.

Ils avaient fait pareil pour les Strokes, avec leur premier cd : « Les Strokes sont le meilleur groupe de rock’n’roll au monde ». Comme si ils voulaient toujours pouvoir dire : on les a vu les premiers !

DA : Le NME en Angleterre fait pareil. Ils font ca pour tous les groupes et si un des groupes marche, ils disent « Vous voyez ! On le savait ! ».

Ca te pose un problème ?

DA : En fait, je crois qu’on fait des bons disques ; il n’y a aucune raison qu’on déconne. Impossible. On enregistre notre musique. Ca fait dix ans qu’on joue ensemble. Rien n’a changé.

Tu ne ressens pas la pression ?

DA : Aucune pression. On n’habite pas à New York ni à Paris ou à Londres, on n’en a rien à foutre du look, des gonzesses et toute cette merde. Ca ne fait pas partie de notre monde. J’aime la musique. J’ai entendu Johana Newson l’autre soir au festival. Elle joue de la harpe. Elle est incroyable. Ca a été le meilleur moment de notre tournée, pouvoir enfin écouter de la musique.

On ne va pas parler des White Stripes, OK ?

DA : Cool.

La comparaison entre les deux groupes est un peu légère, simplement le fait qu’il n’y ait qu’une guitare et une batterie. Je vois d’autres connexions avec d’autres groupes, par exemple, le John Spencer Blues Explosion ?

DA : J’adore l’album Orange mais je ne suis pas un super fan.

Est-ce que c’est une influence ?

DA : Peut-être. Peut-être le feeling de Orange, la batterie, les guitares simples, la base de blues.

Ils partent du blues et le font exploser. Vous faites un peu pareil, vous avez de solides références blues mais vous faites votre truc.

DA : Oui on fait notre truc. On ne fait pas de cinéma. J’aime écrire mes chansons, le plus souvent très personnelles, rarement drôles.

La production, le son de Rubber Factory est très pur. Combien y-a-til de pistes de guitare par chanson ?

DA : Sur certaines, une seule ; le maximum, ca doit être quatre.

Le son est peu trafiqué, les guitares ont l’air de sortir directement de l’ampli.

DA : La plupart du temps, oui.

En concert, il n’y a qu’une seule guitare, comment faites-vous pour reproduite l’album ?

DA : Pour nous, les concerts et les disques sont deux choses complètement différentes.  Quand on enregistre, on ne veut pas s’embêter à savoir si on pourra le refaire en concert, on fait ce qui nous plait, on fait des over-dubs, on met des pistes de basse. On s’en fout du moement que ca sonne. Mais en concert, je joue de la guitare, Pat de la batterie et on adapte.

Il y a des titres de l’album que vous ne jouez pas sur scène.

DA : Les concerts les plus décevants que j’ai vu sont ceux qui refont note pour note l’album. C’est pénible.

Une des influences qu’ on voit apparaître dans les articles à votre sujet est Jimi Hendrix. Ca va chercher un peu loin non ? Il y a bien un solo de guitare à l’envers dans un des titres...

DA : Ca, c’était plus influencé par les Beatles.  Je n’ai plus écouté de Hendrix depuis très longtemps. Je suis plus influencé par des gens comme Junior Kimborough, Robert Ward, Son House...

John Lee Hooker ?

DA : Bien sur et Lightning Hopkins, j’écoute beaucoup ses premiers albums électriques... Elmore James, Hound Dog Taylor... 

Hound Dog Taylor, c’était batterie et guitare, non ?

DA : Deux guitares : Brewer Phillips à la Telecaster et Ted Harvey à la batterie. Et le vrai nom de Hound Dog, c’était Theodore Roosevelt Taylor.

Captain Beefheart ?

DA : Je m’y suis mis il n’y a pas longtemps mais j’ame de plus en plus. Je n’ai pas encore osé Trout Mask Repliqua.

C’est un chanteur de blues au départ puis il s’est mis à délirer.

DA : J’adore ca, j’adore Safe As Milk, Mirror Man Session et le coffret de 5 cd chez Revenant Records : le premier cd, ce sont des accetates et des demos de titres qui ont fini sur Safe As Milk et Mirror Man Session, les chansons sont géniales. Le deuxième cd est live en 1968 au Fillmore avec un groupe de blues et il fait des reprises de Howlin Wolf. J’adore ca. Ils ont fait des arrangement complètement délirants mais au début ca avait des racines très blues.

Tu aimes aussi la musique psyché ?

DA : Un peu, j’aime le 13th Floor Elevator, ce genre de truc.

Un autre groupe qui se contente de guitare et batterie, c’est Jonathan Richman en concert, depuis plusieurs années. Je crois qu’il ne veut qu’un seul instrument mélodique pour pouvoir changer de tonalité,ou de morceaux sans que les autres aient du mal à suivre, pour avoir plus de souplesse pour improviser. Est-ce une raison pour vous aussi, l’improvisation ?

DA : Quand on a commencé, on ne pensait pas aux concerts. On faisait pas pour rigoler, et pour enregistrer. On n’a pas fait de concerts avant que le premier disque sorte.

Vous n’avez jamais cherché d’autres musiciens ?

DA : Pas vraiment. On a joué pendant un moment avec un ami, qui jouait du synthé Moog, il faisait des parties de basse, qu’on lui dictait. Il est sur le premier disque. Mais il n’apportait pas grand chose, il ne savait pas improviser.

Vous improvisez sur scène ?

DA : Oui, on essaye. Plus on joue les titres, plus ils changent. C’est ce qui est le mieux dans les concerts.

Fat Possum, c’est le label que vous vouliez ?

DA : J’aime bien ce label mais je ne suis pas sur que c’est ce qu’il nous fallait.  C’est un label de blues.

Mais pas de blues de base...

DA : C’est vrai mais on ne voulait pas être rangé dans cette case. Même si j’adore des tas de bluesmen il y a quand même pas mal de disques de blues que je déteste.

Tu es satisfait du label quand même ?

DA : Oui, ca  a marché, on est content.

New York a son Anti-Folk, est-ce que vous faites de l’Anti-Blues ?

DA : Peut-être. On est vraiment pas Pro-Blues en tout cas. J’adore le blues, Pat, pas vraiment. C’est la base de notre musique. Mais le mot Blues ne définit pas ce que nous faisons.

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Black Keys - Rubber Factory

Puisqu’ils se contentent eux-aussi d’une guitare et d’une batterie, on compare souvent les Black Keys aux White Stripes. Pourtant, si il y a comparaison, c’est plutôt du côté du John Spencer Blues Explosion qu’il faut chercher. En un mot, les Black Keys ont eux aussi décidé de faire exploser le blues. C’est le retour du gros son, pas fin, qui fonce bille en tête, sans aucun complexe, dans tous les clichés du rock et du blues entassés depuis une trentaine d’années. Patrick Carney (batterie) et Dan Auerbach (guitare, chant), tous deux moins de 25 ans, sont deux innocents ; à la manière d’un Jonathan Richman (sous amphé…), ils ont la certitude de ce qu’ils doivent faire et toutes les critiques, conseils et influences leur passent par-dessus la tête. Si influence il y a, il faut chercher loin, très loin : John Lee Hooker ou Robert Johnson, quand le blues s’inventait, loin des projecteurs. Le tout enrobé dans le son garage sixties, le délire de Captain Beefheart et l’énergie des Sonics.
Le duo guitare-batterie, c’est avant tout la porte ouverte à l’impro : avec un seul instrument mélodique, on ne risque pas les fausses notes (et là encore Richman avait découvert ca il y a une dizaine d’années). Tout comme Archie Bronson Outfit la semaine dernière, on sent que les Black Keys sont un groupe de scène et on a hate de voir ca (lisez aussi la correspondance de notre envoyé spécial à New York !).
Rubber Factory, leur troisième album, sortit chez Fat Possum, le label de blues un peu déjanté, frappe extrèmement fort. Enregistré sur du matos de récup dans leur loft d’Akron, il offre en particulier un son de guitare à l’ancienne particulièrement réussi, avec des vieilles fuzz comme on n’en avait plus entendu depuis… Hendrix ?
Ca plus leur apparition à la Cigale pour le Festival des Inrocks le 5 novembre devrait les installer définitivement comme des vedettes underground. Attention : on n’a pas affaire à des génies, il est même probable que les deux ou trois prochains albums nous laisseront froids, mais, en attendant, c’est si bon, un album pour se faire plaisir...

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Blues Explosion - Damage

Certains diront peut-être qu’il se répète, John Spencer ; on préfèrera penser que son Blues Explosion reste fidèle à lui même : le groupe continue d’avancer les yeux fermés dans un univers fermé et autiste d’une pureté inquiétante. Là où d’autres artistes se posent des questions métaphysiques et de marketing avant d’enregistrer un nouvel album, Spencer, comme un Jonathan Richman hystérique, avance en état de grace.
Il continue à le faire exploser le Blues : comme un John Lee Hooker du XXIe siècle, le blues, ce n’est pas pour lui la répétition appliquée d’une tradition, le blues, c’est SON truc. Et ca part dans tous les sens. Avec Damage, on dérive ainsi vers le funk avec des cuivres et des choristes sexy. Spencer a cette fois confié son talent brouillon à de nouveaux producteurs : DJ Shadow, David Holmes, Dan The Automator. Et invite même Chuck D de Public Enemy, qui s’en tire parfaitement dans ce mélange de rock et de rap, Martina Topley-Bird, chanteuse pleine de soul (qui sera en première partie au concert de Paris) ou James Chance, sax new-yorkais mythique des années 80. Sans parler des invités « virtuels » jamais loins dans le son et les arrangements : Chuck Berry, les Stones, Hendrix (Blowing my Mind se termine comme Bold as Love)…
Le son est tout simplement énorme, à commencer par la batterie du premier titre, tout droit sortie de la jungle. Les guitares sonnent comme dans les plus belles années 70. Rivals, avec sa wah-wah, ses cuivres et ses solos de guitare ranime le Hendrix funky d’avant l’Experience ! Fed Up and Lowdown, c’est du punk-blues-psyché-funk-que sais-je encore... Ratting et son vibrato sent son Bayou moite. Rien n’arrête le Blues Exp ! "J’ai remué Ciel et Terre pour vous apporter ce message. Ce Blues me tuera."
Damage est un des meilleurs albums du Blues Explosion. C’est aussi probablement l’album le plus chaud, le plus en sueur, le plus sexy de l’année. Sexe et rock’n’roll, un duo qui a fait ses preuves...

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Blurt, Nouveau Casino, 17 décembre 2004

Il ne change pas, Blurt. Il a commencé  avec cette belle école de groupes qui au début des années 80 prenait le relais des punks et lançait la cold wave, mélange bizarre et intello, multi-forme et avant-gardiste, plein de génie et de désordre.Wire en était un des plus beaux fleurons et certains groupes – Cure, Simple Minds, U2 – surent bien en profiter avant de vendre leur âme au show-bizz.

Blurt lui n’a jamais approché des charts et s’en moque probablement. Mais quand il monte sur scène, après quelques minutes le public branché du Nouveau Casino, fans et nouveaux-venus, vieillards et jeunes, tout ca se trémousse, emporté par son élan déchaîné. Le batteur et le guitariste tissent des rythmiques impitoyables de répétition et de régularité, rythmiques sur lesquelles Ted Milton – Blurt, c’est lui – éructe, hurle, déclame ses poèmes absurdes puis saisit son saxophone pour des impros free.

Ted Milton, géant de 61 ans, nous toise de ses yeux gris pâles effrayants. Il prend des poses. Il danse. Il prend des risques. Il est invraissemblable. Comme tout Anglais en voyage, il trimballe autour de lui un petit morceau d’Angleterre. Son immense costume gris, sa coupe de douille invraissembable, c’est l’art-school, c’est les pubs, c’est Londres, c’est  The Fall, Throbbing Grissttle ou This Heat en 80 et les tarés indus qui balançaient des machines à laver du haut d’echaffaudages pendant les concerts… Ted Milton est-il fou ou fait-il semblant ? En tous cas, sans jamais se poser la question de la mode ou du succès, imperturbable, il est là. Fidèle. Et ca déménage.

Ce concert, c’est aussi l’occasion d’écouter le volume 1 du Best of « Let There be Blurt – The Fish Needs A Bike ». Ce premier volume compile les années 80, celles du début de Blurt, avec des titres phares comme The Fish Needs A Bike ou Poppycock. Que ce soit avec Jake Milton ou Paul Wigens à la batterie et Pete Creese ou Steve Eagles à la guitare (qu’il nous présente comme « la beauté pyroxidée »), Blurt reste le même inclassable et infatiguable artiste.
(photo : Jaume Santaeularia)
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I Believe – Tim Burgess

Tim Burgess est le chanteur des Charlatans. Son nouvel album est un tel ramassis de clichés sans surprise que c’est en est à peine croyable. Le son, c’est de la FM classique, les paroles, c’est idiot, les compos vont de la soupe liquoreuse à la rengaine middle of the road ricaine. Tout ca joué parfaitement par d’ennuyeux tâcherons.
N’importe quel guignol low-fi a 100 fois plus de choses à dire avec ses deux accords de guitare enregistrés sur une boîte d’allumettes que cette super-production prétentieuse.

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Kevin Coyne not dead!

Personne de moins de 40 ans ne connaît plus Kevin Coyne. C’est comme ca…
Même à la Fnac, il a perdu son petit intercalaire en plastique avec son nom dessus ; il n’est même pas dans les « divers C » et les vendeurs ne connaissent plus son nom… !
La question est, evidemment, pourquoi ? Nick Drake ou Tim Buckley et des dizaines d’autres artistes cultes auraient le même âge (bientôt 60 ans) que ce bon vieux Kevin Coyne et ils ont un public. Alors ? Des réponses ?
Pas vraiment, mais peut-être des arguments pour convaincre certains: quand j’ai entendu pour la première fois de l’Anti Folk et Jeffrey Lewis en particulier, je me suis immédiatement dit : Kevin Coyne fait de l’AntiFolk sans le savoir depuis 30 ans ! Essayez de vous procurer son album Marjory Razorblade (1973) et écoutez Karate King ou Good Boy : c’est la même folie créative, les lyrics délirants, l’énergie et l’attitude destroy malgré les guitares acoustiques.
Jeffrey Lewis ne connaissait pas Kevin Coyne. Voilà ce qu’il m’a répondu quand je lui ai envoyé Marjory Razorblade :
« That album is absolutly fantastic, I really must thank you for introducing me to it!  I read up a little bit on Kevin Coyne and it just makes me more and more fascinated by him and by those recordings.  And of course everybody I play the album to loves it too.  One of the best gifts I've gotten!  Thanks again!! Jeff » (« Cet album est absolument fanstastique. Je tiens à te remercier de me l’avoir fait découvrir. J’ai lu quelques articles sur Kevin Coyne et je suis de plus en plus fasciné par le personnage et ses enregistrements. Et bien sur, tous ceux à qui je fait écouter l’album, l’adorent. Un des plus beaux cadeaux qu’on m’ait fait ! Merci encore ! Jeff »).
Bon sang, j’étais fier…
Voilà, je reparlerai peut-être une autre fois plus en détail de la carrière du mystérieux Kevin Coyne. En attendant, suivez mon conseil et celui de Jeff Lewis : allez découvrir le grand-père de l’Antif Folk !… et qui sait, peut-être qu’un jour Jeff et Kevin se rencontreront… ?

Une sélection de disques :
Marjory Razorblade (Virgin 1973)
Case History (Dandelion 1972)
Beautiful Extremes (Cherry Red 1978)
Life Is Almost Wonderful (avec Brendan Croker) (2002)

Le site officiel (qui vend certains titres) : http://www.kevincoyne.de

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Kevin Coyne not dead (2)

Kevin Coyne est un artiste aux talents multiples : tout à la fois musicien, écrivain et peintre.
Son refus de toute compromission face aux clichés du showbizness, de la gloire et de l'argent ont fait de lui un éternel outsider. Un rôle que Coyne accepte et apprécie. Il y trouve la liberté nécessaire à l'expression de sa créativité, hors des chaînes de la logique commerciale (mais il n'aurait rien contre un Numéro Un dans les charts…)
Kevin Coyne est né à Derby, dans le nord de l'Angleterre en janvier 1944 (ce qui lui fait 60 ans cette année…) Il a suivit des études d'Art de 1961 à 1965. Ses premières influences musicales furent Little Richard, Fats Domino, Chuck Berry et plus tard (aux Beaux Arts), Muddy Waters, John Lee Hooker et Jimmy Reed.
Son premier emploi fut d'être assistant social dans un hôpital du Lancashire de  1965 à 1968. Fin 68, il s'installe à Londres et s'occupe d'aide aux drogués. Cette expérience de contact au quotidien avec les désaxés nourrira ses premières chansons (en particulier son premier album solo, l'incroyable "Case History") et reste aujourd'hui encore une source d'inspiration.
De 1969 à 1971, Coyne est chanteur dans Siren, un des derniers groupes de British blues à la façon de John Mayall, Eric Clapton ou Fletwood Mac (l'original pas le groupe de variété de la fin des années 70). Le groupe sortira deux albums chez Dandelion Records, le label de John Peel – un irréductible fan de Coyne – mais sans rencontrer le succès. Coyne est tout de même assez remarqué pour que, à la mort de Jim Morrison, Elektra Records lui propose de prendre sa place  dans les Doors! Et Coyne refuse : "Je n'avais pas envie de porter des pantalons en cuir…".
En 1973, jeune et idéaliste, Coyne est le deuxième artiste signé chez Virgin, le tout nouveau label de Richard Branson (le premier était Michael Oldfield et, là encore, Coyne refuse de chanter sur les bandes instrumentales de "Tubular Bells", prouvant que le succès, s'il doit aller contre sa propre direction artistique, lui est indifférent).
Pendant les huit années suivantes, Kevin Coyne sortira onze albums pour Virgin. "Marjory Razorblade" reste le plus connu, qui l'installe comme un acteur majeur de la scène folk-rock anglaise et lui ouvre des publics gigantesques tel celui du festival de Hyde Park en 1974 (50 000 personnes).  "Dynamite Daze" en 1978 où Coyne acceuille avec entousiasme la rebellion des punks ou "Millionaires and Tedy Bears" et sa cinglante attaque des richissimes patrons de Virgin lui attirent un public d'afficionados fanatiques mais l'éloigne à jamais du Top Ten… Les tensions avec Virgin augmentent : "Marjory Razorblade" se vend à 25 000 exemplaires, "Millionaires and Tedy Bears" à 35 000 et Kevin ne voit pas d'argent lui revenir…
Il enregistre avec Andy Summers (avant qu'il ne rejoigne Police), Zoot Money, Carla Bley (pour l'album "Silence"), Brian Godding (exceptionnel guitariste) ou Dagmar Krause (de Henri Cow). Ces années hyper-créatives où Coyne va du folk de ses débuts au rock plus dur en passant par l'avant-garde tout en gardant sa personnalité, où il crée des pièces de théâtre ("Babble", "England, England"), des films, où il tourne intensément en Europe, aux Etats-Unis, au Canada et en Australie, tout cela ajouté aux conflits avec Virgin, finissent par se retourner contre lui. Kevin fait une dépression nerveuse en 1981, du à l'abus de travail et d'alcool.
Coyne quitte Virgin pour Cherry Red et sort quelques uns de ses meilleurs albums, "Pointing the Finger" et "Politicz".
En 1985, Coyne divorce, s'installe à Nuremberg en Allemagne, décroche de l'alcool et reforme un nouveau groupe, le "Paradise Band" formé de musiciens allemands. Les premiers albums décevants et l'abscence de distribution hors d'Allemagne l'effacent pour un temps définitivement de la carte musicale.
Depuis 1992 et l'arrivée à ses côtés de ses deux fils, Robert et Eugene, tous deux musiciens, les albums redeviennent passionants : "The Adventures Of Crazy Frank", "Tough and Sweet", "Knocking on your brain" (avec Gary Lucas, musicien de Captain Beefheart, Jeff Buckley, Joan Osborne, Nick Cave, Lou Reed ou Leonard Bernstein) mais surtout, en 1999, "Sugar Candy Taxi" suivi de "Room Full Of Fools".
Le talent unique d'improvisateur de Kevin Coyne se déploie aussi bien sur scène qu'en studio : il enregistra les vingt titres de "Knocking on your brain" en trois jours !
John Peel, Sting ou Johnny Rotten, Vic Chestnut, John Langford des Mekons, Mark Smith de The Fall, Jeff Lewis et bien d'autres sont fans de Kevin Coyne.
Paralèlement, Coyne continue sa carrière de peintre, exposant régulièrement, et d'écrivain (cinq livres déjà publiés dont les excellents receuils de nouvelles "Showbusiness" et "Party Dress).
Kevin Coyne enregistre maintenant chez Ruf Records (http://www.rufrecords.de/).
En 2002, il a enregistré avec Brendan Croker, le compère de Mark Knopfler, un extraordinaire album acoustique "Life Is Almost Wonderful", sous forme d'une édition limitée.
Son dernier album, "Carnival" est sorti en 2002.
Coyne continue à tourner intensivement. En octobre dernier, il a même retrouvé ses vieux camarades de Siren pour une mémorable "Dandelion Reunion".
Il est probable qu'il continuera jusqu'à la fin… Les légendes ont la vie dure. Tant mieux pour nous.
"Peut-être le seul musicien anglais à avoir jamais eu le blues (Chicago Reader)
"Il y a peu d'artistes qui sachent aussi bien jour avec les nerfs de leur public (Allan Jones, Melody Maker)
"C'est plus qu'un rocker, c'est une entité à lui tout seul" (James Hamilton, Hi Fi Weekly)
"Il est le trésor caché de l'Angleterre" (Andy Kershaw, BBC)
"Comme pour tous les grands artistes, écouter sa musique, c'est se comprendre un peu mieux soi-même" (Nick Kent, Melody Maker)

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Kevin Coyne is back! Nouveau Casino, Paris, le 9 février 2004 : une soirée Froggy's Delight

Kevin Coyne, la légende du blues-folk britannique à la voix impressionante, le chantre bizarre des désaxés, n'était pas venu jouer à Paris depuis 1995. Dans les années 70 et 80, il remplissait le Bataclan, le Bus Palladium, l'Olympia… Mais son départ de Virgin Records, son exil en Allemagne et ses labels obscurs et mal distribués l'avaient totalement effacé des mémoires. Pour les rares fans survivants, la question était : "Il n'est pas mort ?".

Kev, Jeff… and Syd
Non, il n'était pas mort. Quoique… On a eu peur quand on l'a vu débarquer de sa voiture avec ses musiciens. 60 ans, les cheveux blancs en bataille, la bedaine impressionante et surtout une maladie des poumons qui l'oblige à s'envoyer régulièrement de l'oxygène dans les narines… En l'accompagnant dans la salle ave sa bouteille d'air portative, on se demandait si on avait eu une bonne idée et si ce type là était encore capable de monter sur scène et de chanter.

Histoire de me mettre à l'aise, il m'apprend "que c'est la première fois qu'il fait un tel voyage pour un concert depuis qu'il est malade: c'est un peu un test, Pascal". Bref, si je meurs sur scène, ca sera de ta faute.. Cool…
Et puis, les sept heures de voiture pour venir de Nuremberg où il habite l'ont mis de mauvaise humeur. Il passera la soirée à osciller entre ralerie et conversation charmante, débinage des musiciens qu'il a pu rencontrer au cours de sa carrière et anecdotes passionantes sur les années 60-70 à Londres.

Au moment du diner, je lui présente Jeffrey, très nerveux à l'idée de parler puis de jouer avec le personnage. Jeffrey avait flashé sur l'album de Coyne, "Marjory Razorblade" (voir l'article "Kevin Coyne not dead") et, à la proposition de faire un concert avec Coyne avait répondu "I'd be honoured!".

Le repas avec Coyne et Lewis sera finalement une conversation à batons rompus passionante. Ils s'avèrent être tous les deux de grands fans de Syd Barret: Jeff a passé son adolescence dans le culte de Barrett, Coyne a créé avec un groupe de jazz allemand un "Opera for Syd". Il nous apprend d'ailleurs qu'il a eu des nouvelles de Syd : il irait bien, très bien même, et vivrait tranquillement des royalties des premiers albums du Floyd…

On enchaîne sur l'interview puis c'est l'heure du concert de Jeff (voir le papier d'Olivier).

Enfin, les musiciens de Kevin montent sur scène : Andreas Blumm à la guitare, acoustique et électrique et Harry Hirschmann à la basse acoustique. Kevin arrive à petits pas. Son physique fait sourire ou grincer des dents… et puis, il se met à chanter… Il n'a rien perdu de sa voix. Une puissance incroyable.

Kevin est un showman chevronné: il sait que Jeff vient de faire un set époustouflant et qu'il faut frapper très fort dès le début pour s'imposer après ça. Il choisit "Having a Party", la chanson qui est une attaque frontale de Richard Branson, Virgin Records et tous les requins du showbizz qui l'ont arnaqué pendant tant d'années. La chanson sert de réponse au "Don't Let The Record Label Take You Out To Lunch" de Jeff. Comme dans l'interview, Coyne et Lewis se retrouvent avec 30 ans de distance autour des mêmes préocupations: comment être un artiste sans perdre son intégrité?

Ils enchaînent avec une vieille chanson, "Sunday Morning Sunrise" que Coyne jouait à l'époque avec Andy Summers avant qu'il ne rejoigne Police. Blumm n'est pas Summers mais il a un beau jeu de guitare acoustique. En électrique, c'est moins convaincant mais ca va quand même. Hirschmann est un magnifique bassiste, d'une grande légéreté. 

Coyne continue à alterner les titres anciens, comme le somptueux "House on the hill" qui piuse dans son expérience d'infirmier en asile psychiatrique, avec les nouveaux : "Happy Little Fat Man" ("dedicated to me") ou "Take Me Back In Our Arms" dédié à sa femme: "Here is a great big kiss for you, darling. Can you hear it?" "No" "Well, I'll try again, then. Can you hear it now?" "Yes!" "Great". C'est une des forces de ce concert, cet esprit d'improvisation exceptionnel, ces saynètes, ces personnages qui apparaîssent, qui parlent, ralent. Que ce soit entre les titres, pour amuser le public, ou pendant les chansons, Coyne raconte des histoires et fait rire ou frémir ou pleurer.

Et on n'a encore rien vu…

I may be dying but I'm alright

Après un "Wobble" particulièrement réussi, ca ne va plus: Kevin s'essoufle, tousse et finit par enfiler les tuyaux de son aide respiratoire. Il m'avouera plus tard que c'était la première fois qu'il les utilisait sur scène. A le voir ainsi affublé sur scène, la question se pose: étais-ce une si bonne idée de le faire venir? L'heure est peut-être venue de raccrocher les gants? Et tout ce public qui ne le connaît pas va-t-il voir là autre chose qu'un pathétique vieux freak en phase terminale?

Mais, là encore, le métier et le charisme du bonhomme l'emportent. Coyne continue comme si de rien n'était. Mieux même, il fait avec. Il va parler de ces horribles tuyaux,  en jouer; tout à l'heure il dancera avec! Et il enchaîne avec "Weirdo", histoire effrayante et autobiographique d'un semi-clochard marginal… L'émotion dégagée est palpable. Le public est conquis. Coyne termine avec "The Pony Tail Song", hommage à ses idoles de toujours, Little Richard et Fats Domino, puis est rappellé deux fois.

Là, evidemment, le goût egocentrique du succès lui fait oublier qu'il est censé faire un rappel avec Jeffrey. Qu'on a annoncé ça partout dans la presse : "Ils se retrouveront enfin ensemble sur scène et nous réservent quelques surprises…"

On pousse Jeff sur scène, il tape sur l'épaule de Coyne… On lui donne une guitare et un micro et ils attaquent sans plus d'explications un nouveau morceau. Ca part très très mal. Jeff rame en essayant de suivre les accords; on est mal pour lui. La mayonnaise ne prend pas, c'est terrible.

Et soudain, tout change : Kevin abandonne son texte pour se mettre à improviser une nouvelle histoire, Jeff respire un bon coup et, entre deux phrases de Coyne, commence lui aussi à improviser : "It's good to be here tonight in Paris with Kevin Coyne…". Et ce qui se présentait comme une catastrophe devient le meilleur rappel du monde !  Kevin aime les challenges. Les voilà tous les deux à se répondre dans une sorte de rap acoustique délirant où chacun essaye de surpasser l'autre.

Sur le bord de la scène, les musiciens de Lewis sont en ébulition : Jack Lewis dit à Dave Beauchamp, le batteur : "Si tu ne vas pas jouer de la batterie maintenant, j'y vais à ta place !" Ils montent finalement sur scène à la joie de tout le monde (Dave me glisse son appareil photo pour que j'immortalise ce moment !). Et ca continue, avec tous les musiciens maintenant, de plus en plus fort, on n'en revient pas. Kevin, qui veut toujours avoir le dernier mot, commence une danse grotesque avec ses tuyaux et répête " I may  be dying but I'm alright!". Le culot ! Jeff, plus cool que cool, lui répond du tac au tac : "You'll be alright! I'm sure in 10 years, we'll be back here, both of us!".

Ils sortent et reviennent pour le dernier rapel, un "low budget video" version Kevin Coyne: Jeff montre au public et à Kevin les dessins de sa chanson "Champion Jim". Le groupe improvise un air et Kevin invente une légende hilarante pour chaque dessin.

Le plus beau moment est lorsque Jeff jette son cahier de dessins pour danser ! C'est l'image qui me restera de ce concert : le jeune fou qui danse à côté du petit vieux sous aide respiratoire…

(photo froggydelight.com) Index


 "Je me suis fait insulter au pub : je vais en faire une chanson"

(article paru dans froogydelight.com et dans Crossroads n°22)

Interview de Kevin Coyne et Jeffrey Lewis, avant leur concert au Nouveau Casino à Paris.

Le webzine froggydelight.com organisait le 9 février dernier la rencontre de deux musiciens pas ordinaires : à ma droite, Kevin Coyne, légende du folk-blues anglais, 60 ans, 40 albums, roi de l'improvisation et des textes décalés ; à ma gauche, Jeffrey Lewis, 28 ans et deux cds au compteur, espoir n°1 de la scène Anti-Folk newyorkaise, l'iconoclaste qui refuse d'entrer dans le moule du showbizz.

Malgré la différence d'âge, Coyne et Lewis – qui sont aussi respectivement peintre et dessinateur de BD à leurs heures perdues – ont des choses à se dire : la low-fi et les enregistrements où l’émotion compte plus que les overdubs, la solitude de l'artiste-peintre dans sa chambre comparée au glamour de la scène, les producteurs, les managers, le showbiz... et puis l’éternelle question : à qui faire confiance ? Finalement, y-a-t-il vraiment du nouveau sous les sunlights depuis les années 60 ?
Interview enregistrée backstage avant un show exceptionnel et riche en rebondissements (Coyne, malade, devra au milieu de son set utiliser un respirateur...). Le concert s’est terminé par un mémorable rappel qui fera dire à Kevin : “Kevin Coyne and Jeffrey Lewis together: a moment of History!“.

Kevin, tu avais entendu parler de l’Anti-Folk avant d’écouter les disques de Jeff ?

Kevin Coyne : Non, pas vraiment mais de toute façon, moi je suis anti folk, je suis contre le folk ! Mais ce n’est peut-être pas la même chose... Comme tu le disais, l’Anti-Folk, c’est un terme pour journalistes. Je ne suis pas bien sur de quoi il s’agit en fait.

Jeffrey Lewis : C’est formidable mais je crois que c’est la première fois qu’un Européen voit juste à ce sujet ! L’Anti-Folk, ca ne veut rien dire. On me demande à chaque interview : « Qu’est est le message du mouvement Anti-Folk ? ». Mais il n’y a rien à en dire…

Les journalistes aiment bien mettre des étiquettes sur les musiciens.

JL : En fait, je suis bien content que ca existe parce que ce que je fais a l’air plus interressant. C’est un titre qui attire les gens. Si je me contentais d’être un chanteur-compositeur, j’aurais l’air d’un imbécile.

L’AntiFolk c’est aussi la low-fi. Qu’est-ce que tu en penses, Kevin?

KC : La low-fi ? Bien sur, moi même, je suis low-fi ! Mais pas ce soir ! La plupart du temps, je suis très très low-fi. Je ne connais que deux accords, ca m’a toujours suffit !

Tu dirais que tes enregistrements studio sont low-fi ?

KC : Oui, le dernier album qui va bientôt sortir… en fait, c’est difficile de faire de la low-fi de nos jours. Quand j’ai commencé, on avait des deux ou des quatre pistes, donc, c’était nécessairement low-fi parce qu’on n’avait jamais assez de pistes. Mais aujourd’hui, tout est sur ordinateur. On n’a plus besoin des bandes, des tables. On fait tout chez soi !

JL : On m’a déjà posé si souvent cette question que j’ai finalement trouvé une réponse qui va peut-être plaire à Kevin : il faut voir la low-fi comme le contraire de ce qu’on y voit habituellement. La fidélité, c’est la vérité et la vérité se perd dans les enregistrements dits hi-fi, à cause des overdubs et de tout ce process de nettoyage et de perfection. En final, on est loin d’être fidèle au son créé au départ.

On perd l’émotion.

JL : Oui. Quand tu enregistres, tout ce qui se passe à ce moment-là est un reflet fidèle de la vérité de cet instant. On en arrive au contraire de la définition habituelle. C’est vrai ce que dit Kevin : avec le numérique, c’est très difficile de faire un enregistrement low-fi. Il faudrait vouloir le faire exprès et c’est complètement l’opposé de la démarche. Il faut se contenter de jouer, c’est tout.

KC : Sinon, ca sonne un peu artificiel.

JL : Oui.

KC : Quand tu entends ca, tu te dis « Pourquoi ca sonne comme ca ? ». Ils font exprès d’avoir un son pourri. Il faut de la simplicité et de l’honneteté pour être aussi proche que possible de l’interprétation des musiciens. Ce n’est pas toujours facile.

Ca nous amène bien sur à Daniel Johnston. Kevin, tu le connais ?

KC : Non.

C’est un Texan…

JL : Il est formidable.

C’est vrai. Il a enregistré des tas de cassettes au début des années 80. Il avait un petit magnéto à cassette et il tapait sur son piano. Le son était très mauvais : ca, c’était dela low-fi !

JL : Mais les chansons sont formidables.

KC : Si les chansons sont bonnes…

Oui, c’est un excellent songwriter.

JL : D’après la légende, il n’avait même pas de double platine magnéto. Quand quelqu’un voulait un de ses albums, il ré-enregistrait toutes les chansons dans le même ordre.

KC : C’est très bien, c’est même quasiment parfait. C’est quelque chose que j’ai toujours essayé d’atteindre depuis les années 70…

Oui, l’émotion est là, si tu arrives à enregistrer sans rien avoir à ajouter…

KC : Oui et c’est ce que j’ai toujours voulu faire depuis la première fois que j’ai mis les pieds dans un studio d’enregistrement : s’approcher le plus possible de ce que je ressentais et de la façon dont jouait et sonnait le goupe. Mais, il y avait toujours des producteurs pour m’emmerder. Les gros labels t’imposent toujours des types qui sont censé être parfaits. A part Steve Verroca qui a produit Marjory Razorblade, qui était le producteur de Link Wray et qui avait de bonnes idées. Link Wray était un peu low-fi de toute façon… Les autres producteurs ne comprenaient rien à rien ! Tous ces types d’Atlantic Records… si je vous racontais… Même Nick Mason du Pink Floyd voulait me produire et j’ai refusé.

Ils t’ont fait enregistrer “Fever”. Une version disco de “Fever”!

KC : Oui, avec grand orchestre et tout le bordel et produit par Mort Lange ! C’était sa première production. Maintenant, il a épousé… comment s’appelle-t-elle ? A l’époque, c’était un Africain du Sud fraîchement débarqué d’Afrique du Sud. Il était venu me voir. Je lui avais dit « Je ne veux pas ! Pas question ! ». Il a mis des arrangement partout. J’ai refusé d’aller voir ca. Je me suis contenté de chanter sur les backing tracks.

C’est un des pires disques de Kevin Coyne !

KC : Oui. Non ! C’est très bien ce que j’ai fait là-dedans !

JL : C’est dans quel disque ?

C’est un single.

KC : Il y a eu deux singles. On a fait aussi “Walk on by”. Mais, ce que je faisais là-dedans, moi, c’était très bien. Ca a eu du succès.

Orchestre à cordes et tout le bazar.

KC : Oui, le grand orchestre.

Jeff, tu n’as pas ce problème avec les producteurs ?

JL : Personne n’a jamais propsé de nous aider

Ca te plairait ?

JL : Je me dis que ca serait bien que quelqu’un qui ait de bonnes idées collabore avec nous. Je ne sais pas comment on fait des disques, c’est un art à part entière et moi, je ne suis vraiment pas doué. L’idée de faire un album, c’est une chose, écrire des chansons qui te paraissent valables, c’en est une autre mais ce n’est pas pour ca que tu sais faire un album. Surement, ca serait bien si quelqu’un qui savait faire des albums venait nous aider. Souvent, je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire.

KC : Méfie-toi… Crois-moi, méfie toi. Je crois que ce que tu fais en ce moment, c’est bien. Tu as su éviter le côté maniéré, un peu cucul, qu’on entend souvent. Je pense surtout à Loudon Wainwright. Je ne peux pas le supporter.

JL : “The Magic Number Four”

KC : Et son fils s’y met aussi maintenant !

JL : Je ne sais jamais qui est qui entre eux deux.

KC : C’est propre, c’est mignon, un peu comme John Martyn. J’ai fait une interview pour Uncut dernièrement où je disais que je détestais les chansons bien-faites, bien comme il faut, avec un pont… tout ce côté McCartney. Je n’ai jamais aimé les Beatles. Et j’ai toujours essayé d’éviter toute cette merde. Je déteste ca. « Bonne chanson, ca ! » C’est ce que te disent les producteurs. Je me souviens la première fois que j’ai enregistré pour la BBC, c’était en 1968 : on arrive et on joue une chanson qui s’appelle « Soon » de l’album Siren et le pont est un peu bizarre dans cette chanson ; et le producteur nous dit : « Ca ne va pas ! Ca n’est pas comme il faut ! ». Je lui ait dit : “Fuck off! C’est notre chanson ! » Tu vois le genre, la BBC, le type qui fume la pipe. Incroyable. Enfin, j’ai des millions d’histoires dans ce genre. Je vais essayer de vous les épargner.

J’ai parlé avec Steve Bull qui jouait des claviers avec toi [Kevin] au début des années 80. Il me racontait que lorsque tu voulais enregistrer un nouvel album, tu demandais de l’argent à la maison de disques – Virgin à l’époque je suppose – et ensuite, tu louais un tout petit studio et tu enregistrais très vite en quelques jours pour pouvoir garder l’argent qui restait pour payer ta maison.

KC : Oui, enfin, pas pour payer la maison, plutôt pour me payer du bon temps, des vacances et puis, j’avais deux enfants…

Ca me paraît très bien : là-encore, c’est de la low-fi.

KC : C’est vrai, on enregistrait vite… il faisait des tas de couches de claviers compliqués. Moi, je disais « On va faire simple ! ». J’improvisais les textes et c’était réglé.

Il voulait tout ré-enregsitrer mais tu n’as pas voulu ?

KC : Cet album-là [Politicz] a été enregistré par le duc de Montenegro ! Un type de la famille royale, il était allé à l’école de Eaton, un peu snob. C’était lui l’ingénieur du son… C’est vrai… Enfin… C’est pas vrai, tu sais cette histoire… pour payer ma maison ! Conneries ! J’avais bien assez pour payer ma maison !

La première fois que j’ai pensé à vous faire jouer ensemble, j’ai demandé à Jeff de m’expliquer comment il organisait sa carrière et ses tournées. Tu peux nous résumer ca ?

JL : Tu envoies des mails à tous le gens que tu connais en Europe en leur demandant s’ils peuvent te trouver des shows. Avec un peu de chance, il y en a assez qui répondent avec des dates pas trop éloignées qui peuvent faire une tournée. Et après, tu pars jouer.

Tu me disais tout à l’heure que tu n’as plus le temps d’écrire des chansons ou de dessiner tes comics.

JL : Ca fait un an et demi qu’on fait ca. Au début, c’état une expérience formidable de partir en tournée et d’avoir comme public des gens qu’on ne connaissait pas. Ca nous changeait de New York. Mais quand on y réfléchit, et maintenant qu’on a fait ca plusieurs fois, je vois que j’ai passé l’année dernière à m’occuper de ca et que j’ai eu de moins en moins de temps pour faire autre chose que tous ces e-mails…

Beaucoup de travail.

JL : Oui.

KC : Helmi [la femme et manager de Kevin] s’occupe de tout ca maintenant. Mais j’ai eu des tas de managers. Je me suis débarrassé du dernier il y a trois ans.

Tu crois que tu pourrais t’en passer?

KC : Pas vraiment. Il faut que quelqu’un s’occupe de ca et c’est mieux si ce n’est pas toi. A un moment, j’organisais moi même les tournées, c’est ingrat et pas mal déprimant. Etre obligé de se vendre…

JL : Oui, c’est pénible.

KC : Ce n’est vraiment pas agréable.

JL : Le côté positif, c’est que tu es au courant de ce qui se passe. La seule fois où quelqu’un a géré ca à notre place, on avait des mauvaises surprises chaque jour : ils nous louaient des batteries alors qu’on n’en avait pas besoin, des amplis, des chambres d’hôtels alors qu’on voulait dormir chez des amis… des tas de dépenses inutiles : un tour-manager dont on ne voulait pas et qui était payé avec notre argent. Des surprises de ce genre jour après jour. Donc, même si c’est du boulot de le faire moi même, au moins, je sais ce qui va se passer et qu’il n’y aura pas de dépenses inutiles.

Kevin, tu connais la chanson de Jeff “Don’t Let The Record Label Take You Out To Lunch” ?

KC : Je me souviens du titre mais pas des détails.

JL : Je suis sur qu’il en est passé par là.

KC : Oui. Ils invitent souvent au restaurant. Enfin, plus tellement ces temps-ci.

JL : Ca serait bien si quelqu’un voulait bien nous aider de la façon dont on a envie qu’on nous aide et pas d’une façon dont on ne veut pas.

KC : Il te faut quelqu’un qui te comprenne. C’est difficile à trouver.

JL : Oui, je ne sais pas…

KC : Quelqu’un comme toi, Pascal.

JL/PR : Hum… [rires]

KC : Je suis sérieux, un type comme lui, il bosse, il fait ce qu’il faut, il sait être très pratique. Il a su organiser ce show, c’était du boulot. C’est très bien. Je sais que tu as une femme et des enfants, Pascal mais on peut gagner de l’argent en faisant ca si on le fait bien. C’est tout ce que je voulais dire.

JL : Etre manager, c’est un boulot ingrat et difficile. Quand je le fais moi même, au moins je sais ce qui se passe… si il y avait un manager, ce serait une situation très spéciale, il faudrait faire vraiment attention à ce que veulent les artistes. Je crois que nous savons ce que nous voulons et nous sommes surement les mieux placés…

KC : Si ca te convient comme ca…

La chanson « Don’t let the Record Label… » parle du fait que tu veux savoir d’où vient l’argent et où il va. Tu ne veux pas d’intermédiaires ?

JL : On ne nous dit rien… ce sont des sommes d’argent si petites….

KC : Mais ca peut changer.

JL : Si il y a moyen de gagner 1000$ en faisant les choses un peu differement, alors il faut y réfléchir ; parce qu’on a besoin de cet argent. Il faut donc vraiment que je sache qu’on n’a pas loué une batterie si ce n’est pas nécessaire. J’en demande peut-être trop. On dirait que personne ne veut s’occuper de tout ca. C’est trop ennuyeux. En fait, soit tu es dans le showbiz et tu brasses de l’argent et dans ce cas ce n’est pas la peine de t’occuper des détails, soit tu ne vas rien gagner du tout et là non plus, ca n’a pas d’importance. Voilà, apparemment, c’est comme ça. C’est comme ca depuis qu’on a commencé il y a un an et demi ou deux et ca continue. On essaye de gagner un peu d’argent. C’est beaucoup de boulot de s’occuper de tous ces détails et que tout se passe bien et ca devient vite un boulot à plein-temps et ce n’est pas ca que je voulais faire au départ… Je voulais dessiner des comics. C’est bien ce qui nous arrive avec la musique mais ca a pris des proportions plus importantes que ce que je prévoyais.

Q: Tu songes à faire un break ?

JL : Je me dis souvent ca mais il se passe toujours quelque chose : on me propose de jouer avec Kevin Coyne ! Je ne peux pas refuser ! Alros, je repars. Mais je ne peux pas repartir pour un seul show alors j’organise une nouvelle tournée etc. etc. C’est très tentant tu sais. Quand tu es chez toi, à écrire ou dessiner, personne ne t’applaudit quand tu as terminé, personne ne te paye…

KC : C’est le métier le plus solitaire qui soit : écrire ou peindre.

JL : Oui, ce n’est pas très sociable.

KC : C’est bien de rencontrer des gens.

JL : Absolument. Chez soi, personne ne vient t’interviewer !

KC : Je suis complètement d’accord avec toi. J’ai passé des années aux Beaux Arts, j’ai fait des tas d’études dans ce genre et je ne pensais pas qu’un jour je vendrais des tableaux. Mais aujourd’hui, j’en vend. Mais je crois que si j’ai arretté de peindre pendant quinze ans c’est parce que, par la musique, je pouvais rencontrer des gens. Je n’étais pas obligé de rester enfermé dans ma chambre à me creuser la cervelle. L’écriture, c’est pareil. Très solitaire. Personne ne t’applaudit à la fin, personne ne te dit Bravo et toi, tu doutes. Pour peu que tu vives avec quelqu’un qui n’apprécie pas vraiment ce que tu fais… tu finis par picoler… c’est ce qui m’est arrivé…

Si tu devais tout reprendre à zéro, tu ferais comme Jeff ou tu signerais encore chez Virgin Records ?

KC : Quand Richard Branson t’appelle, tu le suis. Le mutli-millionaire… Il faut être très fort pour résister à ca quand on n’a pas d’argent. Mais je crois que c’est différent aujourd’hui. Remarque… Est-ce vraiment différent ? Les mêmes requins sont là. Les types se lancent dans le show-biz, il n’y a pas de loi, pas de règles, ils se disent « L’argent facile ! ». J’en ai rencontré plein, ma vie était contrôlée par de vrais gangsters – l’un d’eux est en prison aujourd’hui. Mais c’était un challenge et je ne regrette rien. Si je devais recommencer aujourd’hui, je ne saurais toujours pas quoi faire. Je referais donc surement la même chose, les mêmes erreurs… Je ne sais pas… J’avais été sur Dandelion avec John Peel à la fin des années 60.

[Jeff] Dandelion Records, c’était le label de John Peel

JL : Il y avait qui sur Dandelion?

KC : J’y ai fait deux disques avec Siren et, en 1971, mon premier album solo…

“Case History”.

KC : Oui, un disque bizarre… enregistré en un après-midi à Wimbledon.

JL : Un album fantastique.

KC : Comme tu disais, il est très low-fi, très brut. J’avais envoyé à John Peel une cassette et il l’a sortit. On avait aussi été approché par Blue Horizon Records. Ils ressortent des bandes de nous ces temps-ci. Ils voulaient nous signer. Le label de Fleetwood Mac. Mais, je n’aimais pas trop ce Mike Vernon [patron de Blue Horizon].

Ca ne s’est pas bien passé avec Virgin Records ?

KC : Il y a eu de bons moments mais où est passé l’argent ?

Ils t’ont arnaqué ?

KC : Je ne sais pas. J’ai quelqu’un qui s’occupe de ca actuellement. Mon fils, Eugene, travaille là-dessus. Je veux savoir pourquoi j’ai vendu tant de disques sans jamais voir la couleur de l’argent. On me disait : « Tu as des dettes, tu as enregistré au Manor Studio, ca coute cher ! ». On ne peut jamais rien vérifier.

[Jeff] C’est ce que tu disais.

KC : C’est encore comme ca maintenant.

JL : C’est vrai, on ne peut pas vérifier. Personne ne sait jamais. Il s’agit de petits chiffres. Je vourais savoir si j’ai vendu 3000 ou 7000 albums. C’est important de savoir ca pour moi. Mais tout le monde me dit des trucs différents. Connaître la vérité, ca serait un boulot à plein-temps. J’ai d’autres choses que je voudrais faire… Je n’ai plus de solutions...

KC : Tu te dis que si tu fais des concerts et que tu remplis des salles, c’est que tu dois bien vendre des disques ! J’ai joué dans toutes les grandes salles, même l’Olympia à Paris, il n’y avait peut être pas énormément de monde ce soir-là mais souvent, c’était plein ; et tu te dis : « Tous ces types-là doivent bien acheter les disques ! ». Tu vas dans les magasins et tes disques sont là ! J’étais très naïf.

JL : Alors, tu n’as pas un conseil à me donner, du genre « Garde-toi un boulot ! »

KC : Non, je crois que tu fais exactement ce qu’il faut faire. Tu t’occupes de tes affaires et ca va marcher. Tu ne pourras au moins t’en prendre qu’à toi. Mais tu as aussi dessinateur… Ca va être compliqué. Moi, j’ai arretté de dessiner pendant quinze ans. Plus rien. J’ai recommencé en Allemagne et on m’a exposé et j’ai vendu alors, bien sur, j’ai continué.

Oui comme Captain Beefheart. Il a arretté la musique pour devenir peintre.

KC : Oui, je ne suis pas un grand fan de sa peinture… Il devrait se contenter de chanter. J’ai travaillé avec son guitariste, Gary Lucas. Il a de bonnes histoires sur Beefheart

J’imagine.

KC : Il est très à part.

Kevin, tu es célèbre pour tes improvisations en studio. Tu m’as dit que tu n’écrivais jamais test textes ?

KC : C’est vrai, jamais.

JL : Woah !

KC : Je l’ai fait au début, je me disais « c’est come ca qu’il faut faire ».

JL : Jeff, toi, c’est un peu le contraire : tes textes sont très longs et très écrits.

KC : Mais ils sont magnifiquement écrits. Ce sont de petits chefs-d’œuvre de prose.

JL : Merci. On a aussi quelques titres où on improvise un peu. Je crois que je n’ai pas assez de talent musical pour ca. On apprend chaque jour mais, au début, on était très limités et incapables d’improviser musicalement. Maintenant, on en sait un peu plus et on peut se permettre un peu plus d’impro. Ca fait peur d’improviser mais c’est aussi marrant. C’est bien quand tu sens que ca marche, tu tentes ta chance et ca fonctionne. Quand tu tentes ta chance et que ca rate, c’est terrible.

KC : Ca ne marche pas toujours mais c’est un risque que je veux bien prendre. Parfois, je me réécoute et je frémis aux rhymes idiotes que j’ai osé. A la fin de l’enregistrement, je vais éradiquer toutes les répétitions et les fautes. Mais j’aime l’idée de dire exactement ce qui me passe par la tête.

J’ai entendu des musiciens très impressionnés par leurs séances en studio avec toi : « On fait une première prise, puis une deuxième, et les paroles sont complètement différentes ! ».

KC : C’était Brian [Godding]?

Peut-être Brian, mais aussi le pianiste, Paul Wickens ?

LC : Paul Wickens, oui. Il travaille avec Paul McCartney maintenant. Ca fait onze ans.

JL : Certaines personnes sont douées pur ca.

KC : Tu as raison. D’autres non.

Jeff, j’écoutais le cd “Anti Folk Collaborations” avec Diane Cluck. C’est très différent de tes autres enregistrements. Très sophistiqué. Ca me fait penser à du Folk, mais Kevin n’aime pas du tout ca donc… [rires]

KC : Non, non, pas de problème. Je n’ai rien contre le Folk.

Ca me rappelle certains titres acoustiques de Led Zeppelin à leurs débuts.

JL : C’est interressant.. C’est peut-être la voix de Diane qui est très celtique.

Oui, comme la chanteuse de Fairport Convention.

JL : Oui.

KC : Vous savez, je l’ai connue, elle.

Sandy Denny. Une voix magnifique.

KC : Oui, elle picolait aussi beaucoup. Une alcoolique, comme moi à l’époque…dans un club à Soho un soir… Mais, je n’aime pas trop… elle a une très belle voix, c’est sur mais il y a quelque chose qui me gène là-dedans… Je ne sais pas… Pourquoi est-ce qu’ils ne parlent pas d’aujourd’hui ? Ils chantent dans une langue qui date du Moyen-Age. Moi, j’aime la fraîcheur du quotidien : « Qu’est-ce que c’est là au fond du jardin ? » « Quelqu’un au pub m’a insulté, je vais faire une chanson là-dessus ». J’en ai rien à foutre des pantalons de Lady Fontleroy ! Je n’aime pas trop tout cette scène. Mais j’aimais bien le violoniste de Fairport Convention.

JL : Cette scène là est plus connue en Angletterre qu’en Amérique.

KC : Mais Rhino Records a tout réédité.

JL : Oui, tout est réédité mais ca n’a jamais vraiment pris, cette école et ces groupes… Ce sont des artistes cultes.

Jeff, tu penses que tes prochaînes chansons seront plus sophistiquées et vont s’éloigner du côté punk des premiers albums ?

JL : Les chansons sont différentes. On écrit comme un groupe. Ce n’est plus moi tout seul dans ma chambre, c’est moi avec mon frère et le batteur. Au début, ca m’embétait, je pensais que ca n’était pas bien… Je ne sais pas. On va enregistrer la semaine prochaîne ; on a des vieilles chansons et des nouvelles. On va tout enregistrer et on verra comment tout ca sonne

Vous enregistrez en Angleterre ?

JL : Oui, chez des amis qui ont un studio. Ils jouent dans le groupe “Misty’s Big Adventure”. Leur batteur est le fils d’un type qui jouait dans un groupe anglais, Gentle Giant.

KC : Un groupe irlandais, oui. C’est vieux. Leurs albums sont encore réédités.

JL : Mais je ne sais pas combien de temps ca va durer… Le songwriting, ce n’est pas quelque chose où on s’améliore. Les chansons sortent ou elles ne sortent pas. Pour moi en tout cas, c’est comme ca. Peut-être que je ne vais plus jamais écrire une seule chanson… Souvent il se passe des mois sans que je n’écrive rien…

Tu crois que tu pourrais vraiment arrêter la musique pour faire tes comics ?

JL : Oui, les comics, c’est toute ma vie. J’ai toujours voulu faire des comic books. La musique, ca a été une expérience géniale, qui a pris une part de plus en plus importante dans ma vie et qui m’a fait faire des choses super, comme être ici ce soir avec vous. Hey ! Je suis à Paris !

KC : C’est sure qu’on n’ a pas ca quand on reste chez soi à dessiner.

JL : Non..

Oui, mais il y a autre chose : tu viens de sortir deux excellents cd.

KC : Oui, il a raison.

JL : Merci pour les compliments. Tu sais, on prend goût aux compliments. Tu te dis « Super ! ». Et si il se passe une journée sans que personne ne te dise que ce que tu fais est excellent alors c’était une mauvaise journée. Après c’est dur. Il y a une acoutumance aux compliments. Pour que ta journée soit normale, il faut que quelqu’un te fasse un compliment ; après ca, il te faut deux compliments pour que tu ais l’impression que tu fasses des chose bien, etc. Je vois très bien jusqu’où ca peut aller. Par exemple, on fait des concerts devant 100 personnes et c’est génial. Mais l’an prochain, je nous vois très bien dire « Oh, il n’y a que 100 personnes et pas 500… c’est un désastre ! ». Ca n’en finit jamais.

KC : Si tu te mets à compter les gens dans la salle, c’est un problème. Il ne faut pas faire ca. Sauf si ils ne sont que deux…

Je pense que chaque artiste doit avoir ce problème : que faire après un numéro un ? On ne peut être que numéro un à nouveau, sinon on redescend. Mais, ce que je veux dire, Jeff, c’est : tu es un musicien.

JL : Ca dépend de la définition… c’est vrai qu'il y a plus de gens attirés par la musique que par les dessins... De nos jours, la musique est immédiate, les gens y font plus attention qu’à l’Art. Ca demande moins d’effort au public de mettre un disque à la maison que d’ouvrir un livre ou regarder un tableau. C’est donc plus facile d’approcher les gens par la musique. Mais, c’est difficile à dire si c’est bon ou mauvais…

Photo : froggydelight.com

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Kevin Coyne - Donut City

Kevin Coyne, que vous avez pu voir en concert avec Jeffrey Lewis le mois dernier au Nouveau Casino lors du premier concert Froggy’s Delight, vient de sortir– tenez-vous bien – son 41e album...
Pour les fans de Kevin Coyne, c’est une vraie fête car il se présente comme un best of de ses nombreux talents. Pour les autres, c’est le disque parfait pour découvrir un personnage d’une créativité intacte malgré les années et la maladie (Coyne, 60 ans, souffre d’une maladie respiratoire – qui n’entame en rien sa voix).
Après un dur passage à vide dans les années 90 et quelques albums où il se laissait porter par des musiciens allemands peu inspirés ou trop présents, Kevin Coyne a retrouvé l’inspiration avec « Sugar Candy Taxi » en 1999.
Aujourd’hui, « Donut City » est un aboutissement. En pleine possession de ses moyens, Coyne maîtrise parfaitement l’album d’un bout à l’autre. Le son est dépouillé, les musiciens au service du chant et des textes.
Le groupe est celui qui tourne actuellement avec lui : Andreas Blüml, guitare et Harry Hirschmann, basse (vous les avez vu au Nouveau Casino), le fidèle batteur Werner Steinhauser qui co-signe aussi la production. Les rejoignent sur quelques morceaux Robert Coyne – le fils – qui signe à nouveau quelques une de ses chansons pop hypnotiques un peu inquiétantes et l’Américain Michael Lipton, superbe guitariste, qui clôt l’album en frappant sur la reverb de son ampli.
Mais le héros, c’est Coyne. Le chanteur à l’incroyable voix, le songwriter aux textes personnels, dérangeants, effrayants ou carrément fous. Il a composé plusieurs titres au piano ; il a une façon très personnelle de jouer du piano. On le compare parfois à Beefheart, parcequ’ils ont tout deux l’air aussi dingues l’un que l’autre (mais Coyne est tout sauf fou) et c’est vrai qu’il joue du piano comme le Captain jouait du saxophone...
Musicalement, on passe par toutes les facettes de son talent : des blues-rock acoustiques avec son célèbre jeu de guitare rudimentaire, « No More Rain » une espèce de ballade country-pop qui rappelle son vieux « Marlene » puis on saute en plein délire avec l’angoissant « I Hear Voices » ou dans la pure folie de « Come Back Home », prière gospel accompagnée à coup de poings sur un piano saturé. Sans oublier « Big Fat Bird » avec une des spécialités Coyniennes, la voix qui répète en arrière-plan comme une rythmique la même phrase pendant toute la chanson et qui rappelle l’inoubliable « Mona where’s me trousers ». « Crocodile » est une métaphore de sa maladie. Enfin « Smile Right Back », un superbe titre, digne de « Beautiful Extremes  etc », son album acoustique des années 70. Tout ca échappe à toute possibilité d’équittetage : c’est du Kevin Coyne, ca va du blues à l’avant-garde sans crier gare.
Comme pour tous ses albums, Coyne improvise en studio, la musique comme les paroles. Les  musiciens enregistrent donc leurs parties aprrès le chant. Le monde à l’envers.
Il l’a souvent chanté : « I’m Still Here ! ». Il est oublié, il joue dans de petites salles et vend peu de disques, il s’en fout. Il est persuadé de sa valeur. Il continue. Il est au sommet de son art. Laissez-vous entraîner.
L’album – sortit sur le propre label de Coyne -  se commande à kevin.coyne@t-online.de
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Kevin Coyne - 100 Club, Londres, 29 octobre 2004

Kevin Coyne, qui vit en Allemagne depuis une vingtaine d’année, terminait une courte tournée anglaise par un enregistrement pour la BBC (retansmit le 7 novembre*) et un concert au célèbre 100 Club, à Oxford Street. La salle est fameuse pour avoir accueilli depuis des decennies tous les grands et petits noms du rock. Kevin, toujours ravi de revenir dans son bon vieux Londres, s’émerveillait de voir que le club n’avait pas changé depuis 20 ans... Les loges (un grand mot pour un placard à balai étroit où s’alignent trois mauvaises chaises en plastique...) font partie de son top-ten des pires trous à rats qu’il ait visité en 40 ans de carrière.
La salle est pleine de fans, vieux et jeunes : Londres, c’est la ville de Coyne ; tout le monde vient lui serrer la main, lui dire Welcome back ! Backstage, Kevin retrouve trois des musiciens qui l’accompagnaient il y a tout juste 30 ans lors d’un concert mémorable à Hyde Park devant 70 000 personnes ! Les voir tous ensemble à nouveau, les entendre évoquer le passé, rencontrer le magnifique guitariste de blues Gordon Smith, ce n’est pas rien pour un fan...
On l’avait vu au Nouveau Casino en février dernier avec Jeffrey Lewis, la santé de Coyne ne s’arrange pas : il souffre d’une maladie pulmonaire qui lui interdit tout effort physique. Et bien des membres du public se demandent en effet si une tournée dans son état n’est pas une folie. On le voit arriver à petit pas, ses musiciens l’aident à monter les marches qui mènent à la scène, il ne quitte plus son appareil respiratoire et doit passer le concert assis. Mais, miraculeusement, sa voix est restée intacte. Les sceptiques sont emportés dès les premiers titres. Kevin Coyne sait toujours bâtir et offrir un show compact et parfait. Comme d’habitude, on reste béat devant la force qui se dégage de ce corps diminué, on rit à ses textes improvisés et nous serons plusieurs à avoir les larmes aux yeux en le voyant vouloir se lever pendant un Dynamite Days survolté, mais devoir se rasseoir après quelques phrases... On retrouve un ami et on a peur que ce soit pour la dernière fois...
En première partie : Paul the Girl. Exceptionnel ! Imaginez une Anglaise, la plus ordinaire des Anglaises, mal fringuée, avec un air et un look invraissemblable, à faire tapisserie dans les fêtes locales. Elle monte sur scène avec une Gretsch orange et... tout se déchaîne. Seul pendant trois quart-d’heure, Paul (c’est vraiment son nom !) s’impose comme une singer-songwriter étonnante et qui n’a pas finit de faire parler d’elle. Des textes noirs, une guitare qui passe du minimalisme au rock violent et débridé. Espérons la voir bientôt sur scène chez nous.
*La BBC Session de Coyne sera écoutable sur le net : http://www.bbc.co.uk/radio3/andykershaw
(photo thanks to Alan and Adrie) Index


Kevin Coyne – That Old Suburban Angst

Un livre édité par Tony Donaghey Publishing

Bien qu’il soit surtout connu comme musicien, Kevin Coyne était aussi un écrivain et avait publié plusieurs recueils de nouvelles. That Old Suburban Angst est son dernier recueil de textes, écrit peu de temps avant sa mort en décembre 2004. On retrouve à nouveau les thèmes et préocupations habituels de l’artiste : une compassion – un amour – pour les laissés pour compte, les outsiders de la société ; une fascination pour cette banlieue ou cette province anglaise ou allemande où il a grandi et vécu. Les personnages bizarrement décalés ou franchement absurdes semblent toujours vouloir continuer leur chemin en prétendant garder une apparence de dignité, comme ces ivrognes qui rêvent qu’ils marchent droit ou comme cet Arthur de Liverpool qui clot le livre : ex- gloire locale du rock’n’roll des années 60, il vit encore dans lss souvenirs mais parvient, dans un sourire, à entraîner une dernière fois sa famille dans son rêve.

Jamais faciles, les textes de Coyne sont une porte d’entrée différente dans une oeuvre gigantesque et bien cachée.

Commandes à : www.kevincoynebooks.com


Tous ces textes sont la propriété de Pascal REGIS; merci de ne pas les utiliser sans son accord.

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